«Madame Brouette» ou l’investissement fécondant
«Madame Brouette» ou l’investissement fécondant
Ce qui surprend de prime abord, surtout à la fin du film, c’est le déchaînement de violence qui n’est pas préparé par la logique apparentes de l’intrigue. Tout une série de scènes d’expulsion se succèdent à un rythme haletant. L’accouchement, bien-sûr, mais aussi la mère qui expulse le maquereau et les prostituées de son resto. Le mac qui fait brûler par le père de l’enfant un resto voisin. Ce même père expulse sa maîtresse du resto en lui donnant de l’argent. Il est lui-même, enfin, expulsé de la police pour abus de pouvoir. Enfin, la mère est retirée de sa famille parce qu’elle a commis un délit. Et elle libère l’oiseau de sa cage avant de se laisser embarquer.
Toutes ces violences ont pour point commun l’expulsion et semblent être en fait les harmoniques de la scène de l’accouchement à laquelle elles viennent faire écho.
Si on s’interroge sur la conception et la grossesse de ce futur accouchement on s’aperçoit que l’enfant a été conçu lorsque le père a remis de l’argent au père de sa femme. Informé de la grossesse, le père expulsera sa fille. Mais la raison invoquée par le père (l’honneur) est largement surdéterminée par une autre scène qui précède, dans laquelle le père se plaint à sa fille de ce qu’il n’a pas assez d’argent pour nourrir ces femmes en dispute avec leur maris que sa fille héberge chez lui. Donc l’expulsion de la fille semble relever plus de l’idée qu’une fille doit demeurer avec son mari, quand elle en a un, plutôt qu’avecson père.
Toujours est-il que l’argent en passant du gendre au beau-père, permet le départ de la fille. Donc il s’agit d’un acte d’achat. Cependant il se double par une fécondation. Le caractère fécondant de l’argent nous est indiqué par plusieurs indices. Pour bien signifier les rapports de la grossesse et de l’argent la fille enceinte finit par être hébergée dans un bordel.
Le rapport de la grossesse et de l’argent prend tout son sens grâce au titre du film :«Madame Brouette». La brouette que la future mère pousse devant elle contient de menues marchandises qu’elle vend pour assurer sa subsistance. Elle incarne la grossesse fécondée par l’argent. La fécondation est en même temps un investissement et l’accouchement est le moment suprême où l’investissement prend toute sa valeur.
Pour finir de la brouette et se payer une gargotte, la future mère se lance dans une opération unique de contrebande. Elle se fait prendre par les douaniers. Elle use alors d’un subterfuge et simule l’imminence de l’accouchement pour que ceux-ci, paniqués, la laissent partir avec son stock. Il est clair ici que le passage d’une certaine frontière permet de transformer le fœtus en bébé et la brouette en gargotte.
Si les scènes concernant la grossesse et l’accouchement s’ordonnent assez bien sous la bannière investissement réalisation, ce qui reste plus énigmatique c’est l’amplification démesurée des expulsions à la fin du film. Comme si l’accouchement n’en finissait pas de se répéter.
On pourrait penser que l’accouchement, une fois accompli, l’enfant dont il est le fruit a le plus grand mal à se maintenir en vie. Il est convoité par ses parents qui risquent de se le réapproprier après lui avoir donné la vie. Même si on se situe sur le plan de la métaphore économique, il y a difficulté à maintenir la gargotte fruit de la réalisation de l’investissement.
Le père dont ç’aurait pu être le rôle que de permettre la maintien de l’enfant ou de la gargotte de sa femme, au contraire, se déguise en femme et s’attaque à ceux-la mêmes qu’il devait protéger. On pourrait dire au fond, que, suite à l’accouchement, la dimension maternelle est tellement enflammée, qu’elle ne laisse plus de place au père. Si bien que, pour obtenir le même résultat, il faut utiliser des moyens réputés maternels comme l’expulsion.
C’est ainsi qu’on pourrait expliquer la débauche de violence qui finit par écarter tout le monde en ne sauvegardant que l’enfant et la gargotte.
Pour couronner cette analyse, on pourrait s’interroger sur cette étrange parenté entre l’argent et la procréation en s’inspirant de cette remarque du père dans le film. En plaisantant il a dit à ses amis :«Je suis chrétien d’en haut et musulman d’en bas». Sans pousser très loin la spéculation on pourrait penser que le rapport particulier de la chair et de l’argent en Islam est mis en valeur ici par opposition au christianisme où ce rapport est plutôt condamnable.
On ne peut pas ne pas déboucher ici sur l’idée d’esclavage qui est forcément évoquée lorsque la chair et l’argent sont ainsi mis en commun.