La fin simultanée de l’intégrisme et de la laïcité.

La fin simultanée de l’intégrisme et de la laïcité.

avril 25, 2021 0 Par Karim Richard Jbeili

La fin simultanée de l’intégrisme et de la laïcité.

Publié aux éditions «mémoires d’encrier»

C’est en 1938 que fut découvert le pétrole d’Arabie.  Depuis lors, le sort de toute la région a connu un tournant.  Après avoir été sous la tutelle des Britanniques, elle sera sous la tutelle des Américains.  Ceux-ci ont accordé jusqu’à nos jours un soutien indéfectible à la dynastie saoudienne.  Rappelons qu’aujourd’hui encore cette dynastie demeure entièrement sous la tutelle américaine alors qu’elle est la source financière, idéologique et politique du courant salafiste. Ce courant bien connu veut couvrir les femmes de pied en cap sur tout le territoire égyptien et ce quel que soit la religion ou la nationalité des dites femmes.  De plus, il a l’intention de briser les statues de l’Égypte pharaonique sous prétexte qu’elles représentent le corps humain.

Les Américains soutiennent d’une façon tout aussi indéfectible, l’état d’Israël. Cet état est exclusivement réservé aux Juifs et fait tout ce qu’il peut pour exclure sa population palestinienne non juive.  Comme les Saoudiens qui veulent rétablir une situation qui prévalait à la naissance de l’Islam, Israël cherche à retourner à un état antérieur de 2000 ans les Juifs en Palestine.  Bref les deux états les plus rétrogrades de la planète bénéficient d’un soutien américain sans faille.

Les Arabes, face à cette situation, ont toujours été extrêmement embarrassés.  Depuis la chute de l’Empire Ottoman en 14-18, ils ont été sous la tutelle occidentale.  Anglo-française d’abord, américaine ensuite.  Ils considèrent depuis lors l’Occident comme leur interlocuteur privilégié.  C’est à dire qu’à chaque fois qu’ils prennent une position  politique, celle-ci est adressée à un interlocuteur occidental pour lequel ils sentent la nécessité de s’expliquer, de se justifier, de se faire comprendre.

Ainsi, au lendemain de la défaite de 48, quand ils ont bien vu que l’Occident, non seulement soutenait un état intégriste musulman, mais venait de créer en Palestine un état intégriste juif, ils ont réagi très vivement en faisant un certain nombre de révolutions laïques.  En Égypte, en Syrie, en Irak, en Algérie, en Tunisie, en Lybie, au Soudan et au Yémen, des mouvements laïques et, la plupart du temps, militaires ont pris le pouvoir comme pour affirmer qu’il n’était pas question, pour eux, d’embarquer dans l’intégrisme religieux que leur proposait l’Occident.

La laïcité dans le monde arabe fut un moyen très ferme de résister à la contrainte occidentale vers l’intégrisme.  C’était aussi une façon de se présenter aux Occidentaux comme leur égal.  «S’ils prônent tellement la démocratie, il va leur falloir compter avec nous.  Nous sommes des humains comme ils le sont avec les mêmes droits et les mêmes devoirs», se sont-ils dit.

Mais c’était sans compter avec l’esprit colonial qui supportait mal une telle prétention en n’y voyant que de l’arrogance.  Dans les années 50 la France était prise dans une guerre féroce contre les Algériens et supportait mal l’aide que leur fournissait les Égyptiens.  Les prétentions à la laïcité des Égyptiens furent rejetées du revers de la main par l’Occident colonial avec l’aide de l’état mercenaire juif, durant la guerre de 1956.  Depuis lors, et à plusieurs reprises, on a fait comprendre aux Arabes que leur laïcité était fallacieuse et qu’ils n’étaient, au fond, que des Musulmans déguisés.

Cette fin de non recevoir a duré plusieurs décennies durant lesquelles le Monde Arabe a vécu une profonde dépression.  Il s’est replié sur lui-même tout en continuant de revendiquer sa laïcité sans grand espoir de se faire reconnaitre.  La réponse qu’il recevait était toujours sensiblement la même, à part qu’elle s’est doublée d’un rapport sadomasochiste où l’état mercenaire juif se permettait d’agresser tant et plus les Arabes en recevant à chaque fois des félicitations chaleureuses de la part des Américains, sous la forme d’aide militaire ou économique accrue.

Le contrat mercenaire entre Israël et l’Occident était clair : Humilier, autant que possible, les Arabes pour les empêcher de croire à leur laïcité et surtout de croire que leur laïcité pouvait leur donner le droit de se prétendre les égaux des Occidentaux.  Moyennant ce travail, on garantissait aux Israéliens une terre et un appui politique sans failles.

Ce sadomasochisme n’a, en rien, modifié la démarche des laïcs qui se sont ossifiés avec le temps. Par contre l’exaspération a continué de monter dans ce qu’on a coutume d’appeler la rue arabe.  Au bout de plusieurs décennies de sadomasochisme, le niveau d’exaspération a atteint des sommets.  C’est alors que l’intégrisme, profitant de la situation, a réussi à se  présenter comme le défenseur de l’honneur des Arabes, sans même se donner la  peine de masquer son alliance stratégique avec l’Amérique en Arabie Saoudite.

Tant et si bien que, petit à petit, de plus en  plus d’Arabes se sont trouvés piégés dans l’intégrisme musulman.  De la même façon, du reste, que les Juifs qui se sont trouvés, eux aussi, piégés dans l’intégrisme juif.  Le but de l’opération, à grande échelle, étant de créer un état sunnite pour les Sunnites, un état juif pour les Juifs, un état druze pour les Druzes, un état chiite pour les Chiites etc. On aura réalisé, de cette façon, un projet nationaliste dans une région qui souffrait cruellement d’une énorme homogénéité linguistique et restait, de ce fait, insensible aux sirènes du nationalisme.

Cette situation bloquée et déprimante qui durait depuis plus de soixante dix ans, est, à présent presque terminée. Il reste une laïcité moribonde qui n’a plus aucune crédibilité.  Il reste des intégristes juifs et musulmans partout majoritaires.  Mais il y a bon espoir que les choses changent dorénavant.  Il y a quelques indices qui vont dans ce sens.

Les premiers indices concernent la façon de traiter le corps.  Nous avons tous été impressionnés par le fait que le printemps arabe ait été déclenché par l’auto-immolation de Bouazizi.  Nous avons compris que cette immolation avait fait sens pour les foules de l’océan au golfe.  Je dois vous dire que le monde arabe a une devise qui ressemble à la devise canadienne.  On dit de l’océan, en pensant à l’Océan Atlantique, au golfe qu’ils appellent le golfe arabe plutôt que le golfe persique.  Ceci voulant dire la totalité du monde arabe.

Pour comprendre le geste de Bouazizi ou, en tout cas, le sens que les foules arabes ont donné à ce geste, il faut le repérer par rapport à ce qui se faisait avant : à savoir le geste intégriste qui consiste à s’exploser par la ceinture en emportant un max d’ennemis dans la mort.  Ici, la colère s’exprime sans retenue, elle s’attaque à tous dans une débauche d’hémoglobine.  Avec Bouazizi, le geste est retenu.  Aussi expressif soit-il, il ne tue que lui-même. Il démontre à qui veut le voir et l’entendre qu’il n’a pas sa place en ce monde et qu’il s’immole en conséquence.

On peut aussi comparer le geste de Bouazizi aux mythes fondateurs de Rome, Thèbes ou Carthage.  Dans ces mythes, le résultat d’une analyse approfondie permet de déduire que la muraille de ces cités, devient le symbole de la différence entre un espace policé et un espace sauvage.  Le geste de Bouazizi met, lui aussi, en valeur une muraille, celle de la surface corporelle qui est intensivement désignée par les flammes qui l’embrasent.  Il met donc, lui aussi, en valeur une différence entre un espace policé et un espace sauvage.  Et c’est ce qui a été compris puisque les foules déchainées se sont attelées à la construction d’un nouvel état. Le texte publié dans «le printemps arabe» donne tous les détails de cette analyse.

On peut aussi comprendre le geste de Bouazizi selon l’axe du corps.  Pour la première fois dans le monde musulman, on  représente les contours nus d’un corps, même si le pinceau qui le représente est un  pinceau de flammes. Il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas la pudeur qui a rendu difficile la représentation du corps nu, c’est l’interdit de la représentation de l’humain que les Musulmans ont hérité de Juifs. Que le corps soit nu ou pas ne change rien à l’affaire.  Cet interdit avait contribué à rendre difficile le surgissement du moi dans le monde musulman.  La notion de responsabilité est demeurée limités par la volonté divine qui était la dernière responsable du comportement humain.

Les contours d’un corps qui apparaissent dans les flammes pour s’évanouir aussitôt calcinés est une bonne façon de représenter l’image du corps dans un univers où cette représentation est, en principe, interdite.  Cette image apparaissant de façon très éphémère et portée par une sorte de désespoir, semble avoir besoin d’encouragements pour apparaitre à nouveau.

Pour révéler une dernière dimension du geste de Bouazizi, il faut se rappeler que la Tunisie est l’ancienne patrie de Carthage.  Les tunisiens ont des origines carthaginoises.  Non seulement la ville de Carthage est voisine de la capitale Tunis, mais dans le nom du premier ministre tunisien d’aujourd’hui, on peut voir la trace de son origine carthaginoise.  Il se nomme Jébali, ce qui signifie qu’il provient d’un quartier de Carthage qui se nomme Jebal où vous reconnaitrez le nom du célèbre dieu phénicien Baal.

Phénicien est le terme générique pour nommer les phéniciens carthaginois et les Phéniciens de Phénicie qui ont développé une civilisation dans le territoire de l’actuel Liban.

Mais, savez-vous d’où provient le terme Phénicien?  Il vient de la légende du Phoenix.  Cet oiseau que l’on retrouve dans la célèbre fable de Lafontaine, le corbeau et le renard, a une propriété particulière, celle de retourner se consumer dans son nid à la fin de sa vie. Non sans renaitre aussitôt de ses cendres.

Bouazizi s’est consumé comme le Phoenix et les  peuples arabes ont renaquît de ses cendres.

Ce geste a fait école.  Plusieurs l’ont imité un peu partout dans le monde arabe.  Mais le souffle révolutionnaire s’est épuisé, surtout, à la lumière des sondages donnant partout les islamistes victorieux.  Quelques temps avant les législatives égyptiennes, une blogueuse a décidé de se sacrifier comme Bouazizi en diffusant sa photo nue sur Internet.  Le résultat ne s’est pas fait attendre.  La situation s’est sérieusement envenimée sur la place Tahrir.  Ce fut la période chimique de la révolution avec des doses massives de gaz lacrymogènes qui ont asphyxié à mort plusieurs dizaines de manifestants.

Cette vague de manifestations s’était atténuée lorsqu’est survenu l’épisode du soutien-gorge bleu.  Tout le monde a vu cette vidéo dans laquelle une femme mounaqqaba, archi voilée, se fait battre et surtout dénuder.  Une manif de femmes a suivi cet épisode dans laquelle le slogan majeur de la lutte a été brandi : «Ni militaire, ni islamique, nous voulons un  état civil».

Durant l’été, les Islamistes avaient instrumenté des affaires de femmes coptes converties à l’Islam pour cause de disputes conjugales et qui s’étaient rétractées avant de rentrer au bercail.  Il avaient alors fomenté de violentes manifestations pour «récupérer» ces femmes désormais «musulmanes» qu’on leur avait «volées». Une église avait été détruite dans ces circonstances.

Le thème de la femme occupe le devant de la scène politique en Égypte parce qu’il permet aisément de départager entre les diverses factions et qu’il permet aussi de débattre de cette question essentielle durant une révolution : comment traiter le corps?

Un dernier point mériterait d’être traité ici.  C’est celui du retentissement international du printemps arabe et du geste de Bouazizi.

Nous avons vu précédemment combien ce corps qui brûle pouvait représenter l’image évanescente d’un nouveau pouvoir étatique aussi bien que d’un nouveau pouvoir sur soi.

Perspective internationale

Il est possible que, sur le plan international, cette image qui disparaît aussitôt créée, soit perçue comme une promesse, une promesse de disparition des murailles.  Tout se passe comme si la géographie de la cité était en train de se modifier.  Les cités ne sont plus entourées de murailles, les états ne sont plus entourés de frontières nationales parce que les cités et les états ne sont plus situés dans l’espace géographique mais dans l’espace cybernétique.  Le voisin n’est plus le voisin de palier mais l’ami Facebook.

Dans l’espace cybernétique, ce qui constitue l’extériorité d’une cité, d’un état ou d’une famille est devenu l’écran Internet et non plus la fenêtre qui donne sur l’extérieur.  L’écran d’ordinateur d’une cité, c’est là où sont situées toutes les webcams médiatiques.  C’est à dire un espace où on provoque intentionnellement l’événement pour la webcam.  La place centrale de la ville, comparable, autrefois, à la place du marché.

Le nomade, celui qui veut conquérir la ville, n’a plus à cerner les murs de la cité avant de tenter de les franchir.  La véritable extériorité de la cité se situe en son centre.  Cette fête mondialisée, où on vient célébrer en son centre, avec «indignation», la disparition des murailles de la cité porte en gestation un monde où les frontières nationalistes vont disparaître et où les nomades cybernétiques, c’est à dire, les laissés pour compte de notre univers sclérosé par la rigidité nationaliste, vont envahir les cités à partir de leur centre.