Histoire

Histoire

avril 25, 2021 0 Par Karim Richard Jbeili

Histoire

Charles 1er Empereur d’Autriche

Regards du siècle, siècle du regard

Pour une histoire psychologique du XX° siècle 

 

Distillation de l’oedipe

Quand Freud a élaboré le complexe d’Œdipe, les choses paraissaient relativement évidentes; la famille victorienne était encore présente en Europe et on n’avait pas besoin de se demander ce qu’était une mère et ce qu’était un père. Par la suite, les choses se sont un peu brouillées et il a fallu se questionner sur le fait de savoir si la mère était celle qui avait donné la vie à l’enfant ou bien celle qui s’en était longuement occupé. Il a fallu également se demander si la mère était celle vers qui les pulsions de l’enfant étaient spontanément portées et, par la suite, avaient été interdites par l’intervention du père ou bien si, au contraire, la mère était plutôt celle qui, d’avoir été possédée par le père, suscitait l’attrait et l’intérêt de l’enfant. On s’est également demandé si la mère devait nécessairement être une femme ou si le père, en certaines circonstances, ne pouvait pas tenir cette place. 

Puis, on a vu des objets ou des signifiants qui se postaient en position maternelle et on a vu des circonstances fortuites agir en guise d’interdit paternel. L’Œdipe a alors atteint un niveau d’abstraction élevé lorsqu’il a été question de triangulation, les sommets du triangle pouvant être virtuellement n’importe quoi, pour peu qu’un des sommets soit un attracteur pour l’enfant et que l’autre maintienne une distance salutaire entre les deux autres sommets du triangle.

À un poil de la castration

Concurremment, un certain travail a été fait autour du complexe de castration. Il fallait bien en arriver à expliquer cette étonnante phase phallique qui faisait que les deux futurs êtres sexués se présentaient comme également possesseurs d’un phallus. La conviction du garçon et de la fille d’être possesseurs du phallus n’aura d’égal que l’angoisse ultérieure du garçon de le perdre ou l’envie de la fille de le posséder. Ce qui est notable ici, c’est que le phallus du temps de la phase phallique est fort différent du phallus qui succède à cette phase. Le premier est un phallus où les deux sexes ne sont pas radicalement différenciés.  Ils sont relativement distincts mais cette distinction est encore naissante et n’a aucune commune mesure avec la distinction, beaucoup plus radicale, qui apparaîtra par la suite. La fille, même si elle n’a manifestement pas de pénis, maintient l’idée qu’elle en a quand même un. 

On a traité, habituellement, ce phénomène comme une curiosité clinique peu explicable sur laquelle les auteurs ne se sont pas vraiment attardés. Rares ont été les auteurs qui sont partis à la recherche des causes d’un phénomène aussi étrange. Beaucoup d’entre eux l’ont imputé au « phallocentrisme » freudien. On pourrait cependant rencontrer des dynamiques sexuelles très répandues qui relèvent de cette phase phallique. Je pense, en particulier, à la problématique du cheveu que l’on rencontre dans les cultures musulmanes et juives. Dans ces cultures, que la femme ait des cheveux ou des poils est un véritable problème. On devine aisément que, pour ces cultures, le cheveu ou le poil de la femme est un rappel trop évident du fait, très saisissant quelquefois, qu’elle pourrait avoir un pénis. 

Tout se passe ici comme si la castration n’avait pas fait son travail et que la seule façon qu’on pourrait imaginer pour écarter la confusion possible entre les hommes et les femmes est d’introduire des règles sociales qui les séparent les uns des autres. Que la femme porte des vêtements différents de l’homme, que ces vêtements cachent ses cheveux ou ses poils, cela rassure; cela force une différence à exister de façon manifeste par crainte que, justement, elle ne risque de s’estomper. Il y a là une différence relative qu’il faut maintenir, si je puis dire, à bout de bras. Une différence qui, à la moindre distraction, pourrait disparaître. Pensons aux anciens égyptiens qui vouaient un culte au dieu Râ tout les matins pour ne pas qu’il oublie chaque jour de maintenir la différence entre le jour et la nuit. La différence est fragile, précaire; il faut s’en préoccuper constamment pour qu’elle continue d’être là. 

Reste à se demander quel est le dieu qui permet à cette différence sexuelle de se maintenir. N’oublions pas que la phase phallique est contemporaine de l’oedipe. Le père est donc encore présent comme figure tutélaire et peut être celui qui, en maintenant la distance entre la mère et l’enfant contribue à distinguer, de façon relative, les deux sexes. La distinction reste précaire, rappelons-nous le petit Hans dont le monde bascule lorsqu’il croit apercevoir un pénis entre les jambes de sa mère. On pourrait même penser que ce sont les poils de son pubis, assimilables, comme on l’a vu, à un pénis, qui l’ont amené à cette conviction. Dès ce moment, le petit Hans perd son père et, devant la catastrophe que cela aurait pu provoquer, s’invente un nouveau père sous la forme de la phobie des chevaux. 

Nous savons, par ailleurs, que la résolution du complexe d’oedipe, c’est-à-dire la disparition du père en tant que rival et en tant que personnage tutélaire, va déterminer le garçon à entrer dans le complexe de castration et à commencer à vivre l’angoisse de castration.  La phase phallique est donc dépendante de l’existence ou de la présence du père de l’oedipe. La disparition de ce père détermine une coupure beaucoup plus radicale entre les sexes, que Freud appellera le complexe de castration. 

On pourrait imaginer les différences sexuelles sous la forme d’un rectangle clivé en deux parties par sa diagonale (figure 1).  Chaque sujet est composé en partie d’homme et en partie de femme selon des proportions qui diffèrent;  À l’origine, il n’y avait pas de différence; c’est le père de l’Œdipe qui introduit la coupure par la diagonale

Les extrémités sont interdites parce qu’elles ne sont pas le résultat d’un mélange.  Elles sont impossibles.  Il ne faut absolument pas y toucher.  Quand bien même on doit avoir une différence sexuelle, cette différence ne doit pas être radicale au point qu’il n’y ait pas de mélange. La femme est toujours perçue comme une candidate presque légitime à devenir un homme, de la même façon qu’un homme pourrait aisément devenir une femme. Il n’est pas encore possible de les séparer de façon décisive et chacun des deux sexes doit passer son temps à démontrer qu’il n’est pas l’autre tout en sachant qu’il ne pourra jamais faire cette démonstration définitivement. Bref, c’est le temps de l’ambiguïté et rien ne permet d’imaginer une fin à celle-ci. 

Après rasage

Puis vient le temps où le père disparaît et les deux triangles qui, tout à l’heure, étaient séparés par la diagonale, sous la pression du père, risquent de se confondre à nouveau. C’est alors qu’il faut, d’urgence, scinder la différence relative, et la transformer en différence absolue. La partie commune des deux triangles est écartée, on dit qu’elle est refoulée, et il ne reste, des deux triangles, que les deux extrémités radicalement distinctes. La partie de la femme qui n’est absolument pas un homme et la partie de l’homme qui n’est absolument pas une femme. Et la meilleure façon de conserver l’histoire de ce processus est de se dire que, durant un temps, la fille avait un pénis, ce qui est vrai puisqu’il s’agissait du pénis commun, mais qu’à présent, une coupure a été faite, ce qui est également vrai puisque désormais, elle apparaît comme étant radicalement différente de l’homme, c’est-à-dire ayant perdu le pénis jusqu’à la racine. 

Il y a donc là un processus qui pourrait se résumer de la façon suivante : la mort du père, ou sa disparition, entraîne le danger d’une perte de la différence sexuelle. Pour conserver cette différence, on est obligés de la radicaliser en confiant à la réalité factuelle de la présence ou de l’absence du pénis le soin de faire une distinction qui, jusqu’alors, était opérée et assumée par la seule présence du père. Les hommes et les femmes sont désormais deux sexes bien distincts qui vivent dans deux univers différents dès la phase de latence.

Le garçon devient solidaire des garçons, il fait désormais partie d’un ensemble uniforme où tous sont des garçons. La fille devient solidaire des autres filles et fait partie d’un ensemble appelé «les filles». Chacun sera enfermé dans son ensemble en se repérant par rapport au phallus. Les garçons, en ayant peur de le perdre, et les filles, en regrettant de l’avoir perdu. 

Toute une histoire!

Freud a élaboré le complexe d’Œdipe en 1910 à un moment où l’Occident, tout en conservant des figures paternelles très fortes, avait tendance à vouloir ébranler leur pouvoir en agitant le souci de la nation ou de la nationalité. On pourrait penser que Freud avait senti l’air du temps et que, pour lui, le père de l’oedipe avait le visage des cinq empereurs qui régnaient à cette époque, l’Empereur d’Autriche-Hongrie François-Joseph, l’Empereur d’Allemagne Guilllaume II, le Tsar de toutes les Russies Nicolas II, le Sultan Ottoman Mehemet V et la Reine de l’Empire colonial britannique Victoria. La mécanique de l’oedipe et du complexe de castration va se traduire, sur le plan social, par la chute de quatre de ces cinq empereurs et par le déploiement soudain d’une mosaïque de nationalités dont il a bien fallu régler le surgissement à la conférence de Versailles. Au lieu des garçons et des filles de tout à l’heure, on a vu surgir des Soviétiques, des Allemands, des Turcs, des Arméniens, des Autrichiens, des Hongrois, etc. 

Les états dans lesquels coexistaient plusieurs communautés se sont effondrés parce que l’empereur qui garantissait cette coexistence a perdu son pouvoir. Plutôt que de voir ces communautés se confondre les unes avec les autres avec la disparition de l’empereur, plutôt que de voir ces infimes différences intercommunautaires disparaître ou s’oublier, on a, au contraire, préféré radicaliser les différences entre les communautés et les transformer en nationalités. 

Il était possible, avant, de changer de communauté en se convertissant d’une religion à une autre ou de migrer vers la même communauté dans un pays voisin; Avec la nationalité, la chose n’est plus possible. On est d’une nationalité ou on ne l’est pas, ou alors on est de la nationalité voisine. La mécanique logique est ici la même que pour les sexes.  Le corps sexué aussi bien que la nationalité deviennent des ensembles auxquels on ne peut pas ne pas appartenir.

Écoute panoramique, vision panoramique

On peut repérer une mécanique comparable dans la pensée de Freud elle-même, dans sa façon de concevoir le dialogue et l’écoute. Parler et être entendu est une différence comparable à la différence sexuelle. C’est une différence qu’on pourrait dire alternative : celui qui parle maintenant pourra écouter un peu plus tard. En revanche, celui qui parle maintenant ne peut pas écouter maintenant. Cette différence propre au dialogue va être subvertie, dans la pensée de Freud, par la rencontre avec les hystériques. On sait combien, chez ces hystériques, la problématique du père est aigue, combien ces hystériques cherchent, par tous les moyens à travers le médecin, à faire réapparaître ce père mystérieusement disparu. 

Freud va découvrir, à travers ces hystériques, un pôle central qu’il appellera l’écoute. Cette écoute sera dans l’attente, dans l’expectative de tout ce que l’hystérique peut produire à travers son corps, ses gestes ou sa parole. L’écoute, en position centrale, va se faire l’écho d’un ensemble expressif uniforme où tout est important, même les choses qui ont l’air banales, tout doit être pris en compte. La symétrie alternée du dialogue va céder la place à une dissymétrie radicale entre l’écoutant (l’analyste) et le parlant (l’hystérique). Il y a eu une unilatéralisation du processus de la parole comme il y a eu, tout à l’heure, une unilatératisation du processus de la sexuation, comme il y a eu, concernant le passage des communautés aux nationalités, une unilatéralisation du processus d’identification entre la collectivité et son chef.

Quelques années plus tard, en 1936, Lacan va mettre en valeur un autre processus d’unilatéralisation; il s’agira du stade du miroir. Dans sa théorie, les parties du corps, autrefois regardées par l’autre et observées chez l’autre, et, autrefois, travaillant chacune pour son propre compte dans leur perversion multiforme, finissent par s’unifier sous la houlette d’une image spéculaire. Celle-ci regarde le corps et ses multiples parties et l’unifie tout en étant, inversement, regardée comme extérieure au corps et permettant ainsi d’en délimiter les contours. L’image spéculaire devient un regardant qui uniformise les parties du corps et les rends identiques les unes aux autres. 

Symétrie transférentielle

Ce qui est relativement mystérieux dans le stade du miroir, c’est de retrouver à la fois une symétrie spéculaire et une dissymétrie radicale. Il y aurait lieu d’expliquer ce phénomène assez intriguant. Dans l’oralité, l’enfant qui tète est radicalement différent du sein maternel. Celle-ci donne, celui-là reçoit. Pas de place là-dedans pour la symétrie. Pourtant, ceux qui s’occupent d’enfants savent combien le geste de se nourrir peut être un don fait par l’enfant à sa mère. Il lui offre la jouissance de le nourrir. Il y a donc là une symétrie qui se maintient  même si celle-ci n’est pas apparente. Au niveau du regard, on a une dissymétrie relative ou bien, comme dans la parole, une dissymétrie alternée. Je regarde l’autre, puis l’autre me regarde de façon alternative et quelquefois simultanée. Mais la simultanéité est exceptionnelle. Elle est souvent dérangeante. On voit rarement deux personnes qui se regardent longuement  sans qu’un événement ne vienne interrompre ce face-à-face, un fou rire ou un regard qui se détourne. 

Dans le stade du miroir, il y a une symétrie essentielle. À partir d’un certain âge, cet être qui le regarde est reconnu par l’enfant comme un autre lui-même. Cette image regarde la totalité de son corps tout en étant un autre lui-même. Il offre son corps au regard de l’autre auquel il suppose le désir de le regarder. Il pose en même temps son regard sur cette image spéculaire non sans une certaine jubilation. Comme l’enfant qui, tout à l’heure, offrait son appétit à sa mère qui désirait le nourrir, ici l’enfant offre son corps au regard qui désire le regarder. 

Il y a dans cette opération un narcissisme essentiel.  À ce niveau, cette situation est comparable au dispositif analytique. Freud, en mettant au point ce dispositif, a subverti l’échange alterné de paroles. L’analysant sur le divan parle en ayant l’air de s’adresser à quelqu’un tout en sachant, au fond que c’est à ses propres oreilles qu’il s’adresse. Bien sur, cette conviction que c’est à lui-même qu’il s’adresse prend un certain temps à s’installer, au bout duquel cet autre écoutant est aussi ressenti comme un alter ego, comme ses propres oreilles écoutantes. 

Dissymétrie centralisante

Le stade du miroir introduit le narcissisme dans le regard de la même façon que le dispositif analytique avait introduit le narcissisme dans la parole. Mais curieusement, en même temps que le narcissisme est introduit dans le dispositif analytique et dans le stade du miroir, on observe, simultanément, une unilatéralisation et de la parole et du regard.  Au niveau de la parole, une opération d’écoute majeure transcende les échanges de parole quotidiens et se présente comme potentiellement écoutante par rapport à tout ce qui peut se proférer du divan.  Freud a introduit dans le caractère alternant de la parole, une mutation grâce à la notion d’écoute sans restrictions des associations libres.  La parole a désormais été scindée entre une écoute panoramique et une écoute narcissique.  L’analysant s’écoute parler par l’oreille de l’analyste et est écouté par l’analyste qui, masqué, peut servir d’écran à la projection de l’alter ego du patient.  De la même façon, avec le stade du miroir, un regard virtuel qui a une vision générale du corps vient contrebalancer le fait très narcissique que cet être qui me regarde de sa position dominante est en fait un autre moi-même. 

À partir du regard alterné, le stade du miroir introduit deux extrêmes. Un extrême où le regard est entièrement narcissique et ne regarde plus rien que lui-même et l’autre extrême étant un regard scrutateur qui veut tout voir et tout savoir. Ces deux extrêmes coexistent dans une certaine mixité. Le regard qui veut savoir peut très bien être le mien ou on pourrait aussi dire : « Il n’est pas exclu que ce regard qui veut me savoir puisse être le mien ». Tant qu’elle dure, cette mixité est intéressante parce qu’elle provoque le sujet à s’offrir à l’autre et à lui montrer de plus en plus de choses. Cette situation est comparable à la situation transférentielle analytique où le sujet donne à entendre à quelqu’un, qui est lui et qui n’est pas lui, ce qu’il a à dire. Il y aurait là, en somme, une situation transférentielle comparable au niveau du regard. C’est, au fond, la situation idéale, celle où le transfert dure encore, celle où la mixité des deux regards peut donner toute sa mesure. Dans le cadre de cette mixité, le regard général uniformise toutes les parties du corps alors que le narcissisme les encourage à se montrer. 

Tout ce qui organisait la structure du corps précédemment devient caduc. Ce passé du corps qui devient tout à coup désuet demeure néanmoins présent sous une forme nostalgique et vient alimenter en souvenirs la situation présente. Il y a comme une différence de potentiel entre un plaisir passé et un manque présent. La mixité du regard continue de s’alimenter, comme de son inconscient, du temps où le regard était alterné. 

Le cinéma apparaît ici comme le modèle de ce type de regard.  Il raconte des histoires où nous sommes forcément un peu présents et devient l’instrument de ce qu’on a envie de montrer de nous-mêmes. Le regard succède ainsi à la parole qui, elle, avait subi une mutation majeure avec l’apparition de la psychanalyse, trois ou quatre décennies auparavant, et avait constitué le pôle central de la subjectivité durant cette période

Le Père de la Nation

Dans un texte assez connu, «Psychologie collective et analyse du moi», Freud met en valeur une structure collective tout à fait identique à celles que nous avons observé pour la collectivité des parties du corps dans le stade du miroir (figure 2). Il évoque ce chef qui est objet d’identification de l’ensemble collectif. On retrouve, dans cette description, les deux aspects de la mixité que nous venons d’évoquer, le narcissisme à travers le processus d’identification avec le chef et le regard général de ce même chef, dans la structure pyramidale, sur la collectivité décrite. 

Ce texte de Freud décrit en fait une situation tout à fait typique de la période où le texte a été écrit (1921). Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, toutes les structures communautaires qui prévalaient avant cette guerre se sont profondément transformées. Les structures communautaires ont des structures oppositionnelles complexes où le rapport humain oppositionnel est prévalent dans la détermination de bien des phénomènes. Cette structure a disparu ou a été supplantée au lendemain de la Première Guerre Mondiale par la structure nationaliste, c’est-à-dire une structure où un ensemble d’individus relativement autonomes, sans nécessairement des rapports entre eux, se trouvent dans une relation transférentielle avec un chef nationaliste qu’ils considèrent habituellement comme le père de la nation. Le moment le plus fort du phénomène a eu lieu en 1919 à la conférence de Versailles lorsque des chefs nationalistes du monde entier sont venus présenter leurs doléances afin d’obtenir un statut de nation pour leur peuple.  On peut dire alors que le monde se met en paquets.

Transfert nostalgique

Il y aurait une véritable coupure épistémologique, on pourrait même dire historique, entre le temps du communautaire et le temps où se font les paquets bsp;: les paquets de signifiants, les paquets d’individus, les paquets de morceaux de corps. Ces paquets ont une enveloppe et cette enveloppe prend de la valeur, existe, probablement parce qu’elle est vue, parce qu’elle est perçue par un certain regard. C’est pour cette raison qu’au lendemain de la formation de ces paquets, ça coïncide grosso modo avec la grande dépression, le regard en Occident prend une position centrale. 

Nous sommes rendus à un point important, un point tournant de cette question du stade du miroir. Nous savons que, après le discrédit du père, il se constitue des paquets. Des paquets nationalistes, des paquets de morceaux de corps, des paquets de signifiants qui se trouvent polarisés, unilatéralisés par une écoute, par un regard ou un chef  historique. Une écoute qui entend tout et un regard qui voit tout. On peut penser que, dans un premier temps, cette écoute est bienveillante et ce regard est bienveillant comme, du reste, est bienveillant le chef nationaliste. Durant ce temps, ces morceaux épars, ces morceaux de corps par paquet, ces morceaux de signifiants par paquet, ces morceaux d’individus par paquet, vont, pour ainsi dire, garder la nostalgie du temps où ils étaient différenciés, du temps où ils étaient oppositionnels et ils vont se maintenir dans cette nostalgie entre le temps où ils étaient oppositionnels et le temps où ils sont par paquets. Cette nostalgie, cette différence, va agir longuement dans le cadre d’un transfert. La différence sera entre le temps présent et le temps passé. 

Il arrive malheureusement que cette situation transférentielle prenne fin abruptement. Il semble que la mutation a lieu lorsque le regard bienveillant s’absente. Le regard bienveillant est un mélange de regard scrutateur et de regard narcissique. C’est le caractère narcissique qui rend le regard scrutateur bienveillant et qui modère son acuité. Lorsque le regard bienveillant disparaît, c’est bien la preuve qu’il n’est pas narcissique. En effet s’il s’absente et que je ne peux pas le faire revenir à ma guise, c’est la preuve qu’il ne m’appartient pas, il n’est pas moi; c’est un regard qui appartient à quelqu’un d’autre. C’est là, donc, que ce regard scrutateur est per ccedil;u comme extrême, comme n’ayant plus aucun modérateur, aucun frein et devient paranoïaque. 

Rupture du transfert

La rupture du transfert provoque le silence, dans le cas où l’écoute devient une écoute d’autrui qui perd son caractère narcissique.  Dans le cas du regard, la rupture du transfert provoque un changement majeur.  Le regard scrutateur, n’étant plus freiné par son compagnon naturel qu’était le regard narcissique, va pouvoir déployer une puissance illimitée.  Il va pouvoir écraser son objet sous le poids de sa puissance et le condamner à l’immobilité. Elle équivaut au silence lors de la rupture du transfert symbolique.  C’est comme si le sujet, collectif ou individuel, refusait de se mouvoir pour cette image transférentielle déchue.  Pensons à l’essor des fascismes dans les années 30 ainsi que l’essor du Stalinisme des grandes purges de 1938.  

Et, concurremment, le regard narcissique qui était modéré par le regard panoramique scrutateur, ne rencontre plus désormais aucune limite.  Il devient le regard de l’envie, «le mauvais œil», le regard de la convoitise et de la satisfaction immédiate.  Pour en revenir à l’exemple des fascismes et du stalinisme, on a, en même temps qu’une méfiance extrême à tout mouvement issu de leurs propres rangs, méfiance caractéristique du regard paranoïaque, une convoitise démesurée et irrépressible issue du regard narcissique qui n’a pas peu contribué au déclenchement de la deuxième guerre mondiale.

Le regard narcissique, dépourvu de modérateur, modifie la structure de la mémoire.  Le souvenir ne peut plus se maintenir devant soi, en se laissant appréhender par le regard ou la parole.  Il est réduit à l’immédiateté du présent qu’il vient télescoper à travers la pure sensation.  La mémoire, telle qu’on l’a connue jusqu’à présent, n’est plus qu’un trou noir dont seule témoigne la sensation et l’émotion.  La trace mémorielle s’inscrit dans le corps et n’a plus accès à l’esprit.  Sans mémoire, la réalité n’est plus qu’une surface lisse, sans épaisseur ni profondeur. 

Inversion du cours du temps

Cet état est nouveau, le sujet est surpris de sa propre immobilisation et par la perte rapide de ses capacités mémorielles. Il va persister à vouloir recréer le mouvement.  Et au lieu que nous ayons une situation nostalgique, avec une différence entre un temps présent fait de paquets et un temps passé fait de différences oppositionnelles, on va avoir une situation où ce sera le présent catastrophique et immobilisant qui va s’opposer à un futur revendicateur de liberté. Le sujet aura donc le sentiment que s’il ne va pas chercher sa liberté par la revendication, il va sombrer dans la rigidité, dans l’immobilité et dans l’oubli. 

Suite à la rupture du transfert, l’Europe, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, va se trouver dans un présent sans passé, un présent traumatique sans passé, en ayant le sentiment que le regard paranoïaque qui lui coexiste constamment, est toujours susceptible de l’immobiliser, de la tuer ou d’en faire ce qu’il a fait des Juifs. Ce qui se passe à ce moment, c’est une sorte de révolte contre cet immobilisme, une façon de survivre à ce regard paranoïaque qui immobilise, en se révoltant contre lui de façon constante, en étant sans cesse en mouvement. 

Donc la dynamique énergétique, si je puis dire, va changer de versant, au lieu d’être entre un présent et un passé révolu et nostalgique, elle va se situer plutôt entre un présent intolérable et l’espoir d’un avenir un peu plus reluisant. Cet espoir, bien sûr, s’évanouit sans cesse et il faut le conquérir à nouveau.  Surtout que le regard paranoïaque s’étend de plus en plus et atteint des domaines comme le savoir qui se présente comme essentiellement paranoïaque. Et ce savoir paranoïaque étouffant va donner lieu à la révolte de mai 68. 

L’Être et l’étant

Mai 68, est l’apothéose de l’inversion de la différence de potentiel. Mai 68, c’est la différence entre un présent torride et un avenir lumineux; l’étoile rouge, les lendemains qui chantent. «Nous ne sommes rien, soyons tout.»  Mai 68 est devenu «l’icône», le modèle psychologique de la deuxième moitié du XX° siècle.  Ce n’est pas la première fois que cette révolte a lieu.  Il y en a eu bien d’autres révoltes avant elle.  Mais c’est la première fois qu’elle prend une coloration philosophique.  La révolte est le fait d’étudiants se révoltant contre le savoir et la transmission du savoir.

L’«étant» se révolte pour advenir enfin à l’Être.  Les hommes, les animaux, les plantes qui arrivent à démontrer que leur existence est menacée, adviennent  à l’Être et sont sauvés.  Les autres peuvent disparaître tranquillement, sans être inscrits dans les registres de l’Être ni ceux de l’histoire.  La révolte de 68 contre le savoir a ennobli la révolte contre l’immobilité.

La consumérisation du monde, dont les jeunes de 68 furent paradoxalement les principaux vecteurs, est venue profiter de la vague et lui donner son apothéose.  L’électroménager, l’automobile, les communications, la pilule étaient chaque fois un pas de plus dans la révolte contre l’ordre de l’immobilité.  Et quand, last but not least, le mur de Berlin est tombé pour laisser la place à la Glassnost, à la transparence, on a cru que le fief lui-même du regard paranoïaque était tombé.  On ne pouvait décemment rien désirer de plus.  Certains, triomphalistes, ont alors décrété la fin de l’histoire.

Pourtant rien n’a changé.  Le regard paranoïaque est toujours là, suspendu au sommet de la mondialisation, attendant le prochain candidat qui aurait l’imprudente amabilité de bien vouloir l’incarner dans le fantasme collectif.  Cette fois, cependant les «têtes de Turc» incarnés par les  présidents laïcs arabes, Saddam Hussein, Arafat, Kadhafi, n’impressionnent plus beaucoup.  On les joue sur le mode du jeu video, dans un triomphalisme démesuré.

Tous les «étants» advenus à l’Être s’étalent désormais au grand soleil, orphelins de leur «misère» passée, après avoir détrôné l’«usurpateur» qui les tenait en tutelle.  Au bout du compte la réalité n’est plus qu’une surface plane et sans aspérités.  Au-delà de cette surface le regard paranoïaque ne veut prendre aucun risque. La sécurité doit être assurée et garantie.  Il  doit être impossible à quoi que ce soit de franchir la fine pellicule sans profondeur que constitue cette surface.  Au delà c’est l’impossible du réel.

La jouissance de la terreur

Corrélativement à cette paranoïa et la soutenant de sa logique, il y a une sorte de narcissisme absolu qui est exclusivement préoccupé par ses propres intérêts sans aucun égard pour les autres, fussent-ils ses propres enfants ou, tout simplement, soi-même, dans un temps différent.  Il y a une  immédiateté de la satisfaction qui devient obligatoire.  Les «étants» déjà advenus à l’Être voient d’un très mauvais œil tous ces nouveaux candidats à l’Être qui, non seulement rivalisent avec eux, mais risquent également d’incommoder le regard paranoïaque.

Le plaisir qui est impérativement lié au sursis, à la satisfaction remise, et qui a quand même réussi à traverser le siècle depuis le temps de Freud, s’évanouit totalement ici.  Pas de sursis, pas de plaisir.  C’est désormais la jouissance qui va emporter la mise totalement.  Et l’organe favori de la jouissance, celui qui va réussir à l’alimenter indéfiniment, c’est la terreur.  Cet organe est une pure hypothèse logique qui se fonde sur la structure que nous venons d’étudier, celle du regard paranoïaque qui se porte sur une réalité parcheminée.  La terreur, organe de la jouissance, dira que l’impossible, au delà de la pellicule de la réalité, n’est peut-être pas aussi impossible qu’on le prétend.  Le réel, derrière la réalité, recèle des trésors de possibles qui contreviendraient volontiers à sa définition, donnée par Lacan, comme lieu de l’impossible.

Ce réel a un potentiel de stimulation de la jouissance pratiquement infini.  Il suffit de semer le doute et le dynamique énergétique est enclenchée et peut même s’emballer pour de longues périodes.  Les attentats du 11 septembre sont venus à point nommé consacrer le  passage du plaisir à la jouissance par la terreur. Le tandem Israël-USA, durant la période bushienne, ont misé sur le déploiement de cette jouissance et en ont engrangé de gigantesques profits énergétiques.

Le monde s’est alors trouvé divisé en deux parties : les terroristes et les terrorisés.  La relation était entièrement dissymétrique.  Le terrorisé, du côté de l’Être, ne pouvait pas faire peur même s’il disposait d’un arsenal nucléaire capable de faire sauter plusieurs fois la planète.  Et le terroriste, «étant» non encore parvenu à l’Être,  ne pouvait pas avoir peur puisque, en dépit des exactions qu’il subissait, il ne suscitait pas la moindre compassion chez son rival en Être.  S’il recule devant la menace ou le danger, il sombre dans le non-être et n’a plus aucune chance de faire valoir sa candidature.  Il ne peut s’autoriser aucun recul face à l’ennemi, quand bien même il s’avancerait vers une mort certaine.

Puis la dynamique que nous avons déjà vu précédemment va se reproduire.  La différence oppositionnelle terroriste/terrorisé va évoluer vers sa rupture.  La mise en paquet qui signe habituellement la fin du processus  va prendre forme autour du concept de «mur».  Les murs en Israël, au Texas, autour des villes espagnoles d’Afrique, la burqa, le port du voile, les lois antiterroristes, les lois contre le port du voile sont autant de limites matérialisées d’une opposition jouissive qui ne pouvait plus durer.  L’Orient et l’Occident vont se trouver ainsi séparés l’un de l’autre par des murs de toile ou de moellons.

Sur le plan clinique, les cas de traumatismes sont aussi très éloquents en termes de jouissance.  Ils vivent dans un état d’hyperstimulation par la peur ou par la douleur et ne parviennent à s’y soustraire qu’en dégonflant lentement l’ampleur du trauma qui est la source principale de leur jouissance.  Pour eux, la terreur du cauchemar ou bien la douleur jouent un rôle comparable de stimulation. 

Est-ce un hasard?, mais l’apparition de la vidéo en 1980 est venu donner corps au phénomène.  En lieu et place du cinéma qui conjuguait tant la parole que l’image et nécessitait la préparation d’un minimum de scénario, la video est apparue comme cet instrument qui se pointe indéfiniment sur la réalité et, grâce à une mosaïque de multiples écrans, permet de repérer le lieu et le moment où il va enfin se passer quelque chose sur la surface plane de la réalité.  La vidéo ne prévoit pas, ne planifie pas; elle attend que quelque chose se passe sans savoir d’avance ce que ce sera.  Elle flotte à la surface des choses et attend l’événement, l’explosion, le délit.  Son héros est la réalité, sa jouissance, le réel.

Regards d’un siècle

Essayons de résumer la situation.  Ce qu’on peut supposer, c’est que, dans un premier temps, il y a une structuration polymorphe; sur le plan collectif, c’est une structuration communautaire qui dépend de la puissance du père ou de l’empereur.  

À un moment donné, cette structuration polymorphe communautaire entre en crise et il y a comme une menace qui pèse sur le père et celui-ci est écarté du pouvoir. Il n’a plus la latitude d’interdire la mère et le résultat en est que les différences collectives qui prévalaient disparaissent et chacun tombe dans l’individualité. La collectivité n’est plus structurée par les différences mais devient structurée par l’identité.  C’est l’heure du nationalisme, l’ère du paquet, l’ère de l’ensemble d’individus d’une même catégorie qui se retrouvent dans un même paquet. 

Sur le plan individuel il s’agit du polymorphisme du corps de l’enfant.  Il y a mise en paquet à travers le stade du miroir aussi.  Dans ce cas, c’est le corps qui est mis en paquet.  Par suite, le regard commence à acquérir beaucoup d’importance en raison, probablement, de cette mise en paquet qui met en valeur la surface, l’enveloppe du paquet. 

On a vu également que ce regard qui s’exerce sur le paquet est double; c’est un regard narcissique d’une part, et c’est un regard général et scrutateur d’autre part. La concomitance ou la mixité de ces deux regard, le regard scrutateur et le regard narcissique, donne un mélange qu’on peut qualifier de bienveillant ou de transférentiel; c’est-à-dire que c’est un regard face auquel on a envie de se montrer.  On a envie de s’exprimer, de se mouvoir devant ce regard bienveillant parce que, par certain cotés, il est nous-mêmes nous regardant. 

On pense là au lendemain de la guerre 1914-1918, à la tendance générale de toutes les collectivités humaines à devenir nationalistes, à se choisir pour cela un maître, un leader nationaliste qui va leur servir de guide et les mener jusqu’à l’indépendance nationale.  Le transfert massif sur le guide nationaliste est d’autant plus avantageux que la structuration par paquets a un potentiel énergétique de loin supérieur à la structuration communautaire oppositionnelle.

Mais le transfert va se briser et c’est là qu’est le tournant psychologique majeur du XX° siècle.  L’État contrôlant n’est plus soutenu par la foi dans le leader nationaliste.  On essaye, autant que possible, de maintenir le transfert jusqu’au «culte de la personnalité» mais il finit toujours par s’effondrer et le contrôle de l’État s’exerce sans limitations d’aucune sorte.

La Psychanalyse dans le siècle du cinéma

L’heure est venue de faire un bilan après un siècle de psychanalyse.

Freud a révolutionné l’usage de la parole en introduisant l’écoute panoramique.  Ce faisant, il a modifié le rapport des signifiants entre eux.  Au lieu de se repérer les uns par rapport aux autres dans une structure oppositionnelle de type saussurien, ils se sont tous, également  repérés par rapport à cette écoute interprétative et se sont individualisés en paquets de signifiants individuels..

Ce qui s’est passé pour les signifiants avec Freud, s’est également passé pour les divers sujets des empires, devenus des individus citoyens nationalistes triés les uns par rapport aux autres par leur appartenance à une langue et à une religion particulière.

Est-ce la mise en paquets qui l’a provoquée?  Toujours est-il que c’est le regard qui prend le dessus sur la parole.  C’est alors que  Lacan théorise le regard et modifie sa structure en introduisant, à travers le stade du miroir, le regard panoramique bienveillant qui est issu de l’image spéculaire du sujet. Cette théorie succède, en 1936, au surgissement du cinéma parlant en 1933.

Du temps du muet, l’image se devait d’être porteuse de parole.  Elle devait pallier à l’absence de parole.  On peut comprendre dès lors la réticence de Freud envers un medium essentiellement hystérique puisqu’il devait substituer l’image expressive à l’absence de parole.  Alors que la psychanalyse visait au contraire à substituer de la parole à l’excès d’image (symptôme) provoqué par le refoulement.  

Tout devait tendre alors vers la parole.  Chacun devait, à sa façon, s’accommoder des obstacles à son surgissement.  Le muet en rendant les images «parlantes» et Freud, dans un pas supplémentaire, en transformant le symptôme en paroles.

Avec l’apparition du cinéma parlant, l’image va se trouver dégagée de la tâche de colporter la parole.  Elle va retrouver sa vérité propre dégagée des contraintes de la parole.  Par la même occasion, la parole s’est libérée de sa dépendance à l’Image et peut ainsi manifester librement sa vérité.  Paroles et images se trouvent ainsi libérées de leurs obligations mutuelles et peuvent se manifester également dans un même récit.

De là vient que le concept de signifiant de Lacan va recouvrir aussi bien des éléments phonétiques que scopiques.  Ce qui correspond tout à fait à la façon dont Freud a abordé le rêve.  Dans la «Traumdeutung», l’image est associée à un signifiant aussi bien que le son.  Ce sont tous deux des citations du passé qui s’inscrivent dans des chaînes de signifiants très différentes de la stricte structure duelle saussurienne.

La clinique de Lacan va refléter le changement de paradigme.  Il n’est plus vraiment question de remémoration comme du temps de Freud.  Le nouveau paradigme qu’est le signifiant va se refléter dans la clinique lacanienne sous forme de mouvement.  Il s’agit de scander certains moments du flot verbal, mais aussi de déterminer le début et la fin d’une séance.  Et le mouvement s’accélère avec les années.

Si le regard paranoïaque apparaît dès les années 30 en Allemagne et en Union Soviétique, il tarde à arriver en France.  Ce n’est qu’en 68 qu’on le sent vraiment.  Mais en creux, dans la révolte qu’il suscite chez les étudiants.  Pour résister à l’immobilité que le regard paranoïaque provoque, il faut se mouvoir sans cesse, se révolter, advenir à l’Être par un sursaut de vie.  Les séances d’analyse, chez Lacan, vont traduire ce mouvement dans les séances ultra courtes qu’on nommera pudiquement «à temps variable».

Vertige du présent

Puis il y a le temps présent.  Le regard paranoïaque a totalement affermi sa présence.  Il ne rencontre aucun obstacle, même géographique.  Il a atteint à présent les zones musulmanes.  Au niveau clinique il produit une symptomatologie où la peur, l’angoisse, la douleur prédominent.  La clinique a tendance à se centrer sur le réel de la sensation, après avoir chevauché le symbolique de la parole puis l’imaginaire de l’image.

Le plaisir et la mémoire, les deux mamelles de la psychanalyse, sont en voie de disparition.  Les symptômes se modifient progressivement.  Ils sont de moins en moins psychiques et s’inscrivent dans la sensation et le mouvement. Le corps est de plus en plus sollicité comme espace d’inscription de celui-ci et de celle-là.  La psychanalyse du XXI° siècle devra être psychosomatique ou bien ne sera plus.

Il faut repenser un troisième temps de la  psychanalyse dans une clinique du réel.  Il faut que la psychanalyse repense les rapports du corps et de l’esprit, quitte à repenser les assises de la civilisation occidentale qui sont basées sur la scission cartésienne entre le corps et l’esprit.

Peut-être que dans cette longue querelle entre l’Islamisme et l’Occident il y aurait comme un message.  Peut-être que le sacrifice du Kamikaze vient nous chuchoter un «jamais sans mon corps» dont il nous faudrait tirer la leçon.  Les écologistes nous interpellent sur le versant du «jamais sans ma terre».  Peut-être qu’il y aurait tout un travail de réflexion à faire non pas seulement pour avoir plus d’égards pour le corps ou la terre, mais aussi pour questionner ce rapport de soumission du corps, de la matière, de la terre par rapport à l’esprit.