Abraham fiancée de Yahvé
Abraham fiancée de Yahvé
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Le harem du sultan
Depuis que, dans «Totem et tabou», Freud a formulé sa théorie de la horde primitive, il a mis les Psychanalystes dans le plus grand embarras. Sa théorie a l’air tellement abstraite et déconnectée de la réalité que beaucoup ont fini par convenir que c’était un état collectif qui n’avait jamais existé, mais qui avait simplement le mérite de mettre en scène la naissance de la loi.
Lorsque Freud dit que le père de la horde possédait toutes les femmes, tout le monde a compris qu’il couchait avec toutes et privait tous ses fils de cette éventualité. La théorie de la horde a été comprise à l’image du harem d’un sultan ottoman ou comme un super Œdipe collectif. Au lieu d’un fils et d’une mère, il y aurait un groupe de fils et un groupe de mères.
Cette compréhension des faits est loin de rendre justice à la pensée de Freud. Elle reste en surface et ne permet pas d’en saisir la profondeur. Un petit déplacement dans la compréhension permet au contraire de retrouver sa perspicacité.
Que le père de la horde possède toutes les femmes, soit! Mais cela n’implique pas qu’il couche avec toutes. Les choses deviennent beaucoup plus compréhensibles, si l’on admet que chaque fils couche avec une femme, mais le fait au nom du père de la horde qui les possède toutes. Ici, la possession est un véritable droit de propriété du père qui n’a pas de rapport avec la jouissance que chaque fils tire de la femme qui lui a été attribuée.
Au nom du père
Chaque fils serait ainsi mis en demeure de procréer au non du père. Cette version des faits a, et de loin, beaucoup plus d’ancrage dans la réalité. Elle correspond, on le devinera aisément, à la structure tribale. L’ancêtre de la tribu donne son nom à toute la collectivité. Chaque fils doit exercer sa jouissance au nom de l’ancêtre et se trouve donc dépossédé de l’instrument de cette jouissance : le phallus. La jouissance qu’il tire de «sa» femme est une jouissance pour l’Autre qu’est l’ancêtre. Déjà que «sa» femme est possédée par celui-ci, il doit de surcroît lui offrir sa jouissance.
Logiquement, la situation est tout à fait comparable à celle du capitaliste décrite par Marx. Il possède toutes les machines, mais il est incapable de travailler sur toutes. Il doit affréter des ouvriers qui lui offriront leur force de travail contre rémunération. Rémunération sur laquelle il prélèvera son profit : la plus-value.
Jouir de «sa» femme revient à travailler sur la machine du capitaliste. Dans les deux cas, le fils offre son énergie vitale, sexuelle ou mécanique, non pas à «sa» femme ou à «sa» machine, mais au propriétaire de l’une ou de l’autre.
Certes, comme l’ouvrier, le fils de la horde va recevoir un certain salaire qui est sa jouissance dans l’accomplissement de ce travail. De ce salaire, cependant, sera prélevée une certaine partie, le plus-de-jouir qui le laissera dans une certaine insatisfaction de ne pas avoir été compensé entièrement pour l’effort accompli.
Il va lui falloir cent fois sur le métier remettre son ouvrage en essayant en vain de retrouver le plus-de-jouir perdu.
Le prolétaire de la structure communautaire
Vu sous cet angle, le mythe de la horde primitive acquiert une réalité inattendue. Il s’agit tout simplement d’une description de la structure communautaire. Chaque homme de la communauté travaille spontanément pour la reproduction et la grandeur de celle-ci. C’est un prolétaire au même titre que l’ouvrier. Parce qu’il s’inscrit dans une structure capitaliste, mais aussi parce qu’étymologiquement le prolétaire est celui qui prolifère.
En se laissant prélever une part de sa jouissance ou une part de son travail, plus-de-jouir ou plus value, le prolétaire, qu’il soit sexuel ou économique, contribue à la construction et à l’expansion de l’édifice. Ce petit-plus est en somme la cheville ouvrière du système. Il a fait l’objet d’innombrables réflexions et débats, tant dans le champ de la Psychanalyse que du Marxisme.
Il était clair pour Freud jusqu’à ses derniers écrits que l’insatisfaction était le gage de la survie des pulsions sexuelles. Pour Lacan, il a fallu partir en lutte contre ceux qui prétendaient qu’on pouvait atteindre une maturité sexuelle satisfaisante à la phase génitale. Il a restauré l’insatisfaction de façon spectaculaire en la nommant plus de jouir, ce qui n’était pas anodin dans la France de 68.
Marx, par contre, avait une dent contre la plus-value, symbole du système capitaliste à ses yeux. Il a tout fait pour rendre à l’ouvrier ce qui revient à l’ouvrier. Mal lui en a pris parce que, ce faisant, il a fait disparaître le désir de produire en lui enlevant cette part d’insatisfaction stimulante. Qu’il n’y ait plus de différence entre le travail de l’ouvrier et son salaire entraîne une situation imaginaire en miroir. Aucun détail ne diffère entre Narcisse et son image. L’immobilité, la fascination et, potentiellement, la mort sont imminentes : la mort du désir.
Sans ce petit-plus manquant, ou sans manque de ce petit-plus, il n’y a plus de différence entre le proliférataire et l’ensemble pour lequel il travaille ou pour lequel il jouit. L’ouvrier fait partie du système capitaliste, le fils fait partie de la communauté et du système religieux. L’ensemble est total ou, plus exactement totalitaire, et chaque prolétaire fait partie organiquement de l’ensemble, fait partie du tout sans reste.
La petite différence
Marx a cru que ce petit-plus était injustement prélevé par le capitaliste, pour le capitaliste. Il a fait croire a bien du monde que ce plus devait être restitué à son légitime propriétaire. Petite erreur qui a eu des conséquences incalculables, toutes tragiques. Heureusement que ce ne fut pas le cas de Freud ou de Lacan. Freud a bien vu et bien compris que le petit morceau de jouissance dont était privé l’enfant était destiné au père et non à la mère. Et Lacan de surenchérir que, selon le statut du père, ce prélèvement pouvait prendre la forme d’une privation, d’une frustration ou d’une castration.
Pour sortir de la totalité sans reste, pour échapper au totalitaire, il importe que le petit plus aille investir un tiers. Investir dans le sens de déposer en ce tiers une certaine quantité de valeur, mais aussi dans le sens d’honorer, d’élever ce tiers à un certain statut. Il s’agit en somme d’investir le petit-plus auprès d’un tiers, afin de l’investir d’un pouvoir susceptible de nous sortir de la totalité sans reste.
Vous l’avez probablement deviné, ce tiers est, de façon assez évidente, nul autre que Dieu. Dieu est investi de la charge, moyennant le petit-plus qu’on lui donne, de nous sortir de l’enfermement communautaire, religieux ou plus simplement institutionnel qui pourrait devenir dangereusement hermétique.
Il est clair ici que Dieu et la religion sont deux choses tout à fait distinctes. Sans Dieu, la religion se sclérose dans la littéralité du texte révélé ou dans la minutie du rituel traditionnel. Avec Dieu, par contre, une religion peut garder sa vitalité et se renouveler sans cesse, se réinventer en somme.
Abraham fiancée de Dieu
L’histoire d’Abraham est très éclairante à cet égard. Elle met en scène de bout en bout l’alternative entre l’adhérence au maternel communautaire et religieux, d’une part, et la menace paternelle et divine, d’autre part. Comme père, Abraham a du mal à procréer, un peu comme s’il ne parvenait pas à soutirer à sa femme un bébé en raison de la trop forte adhérence au maternel.
Par la suite, une fois contractée l’alliance de BirChéba avec Yaveh, Abraham change de statut. En tant que patriarche il est lui même gros de millions d’enfants futurs. Encore faut-il que quelqu’un parvienne à lui faire lâcher le morceau sinon il risque, comme Sarah, de laisser jouer l’adhérence au maternel. Pour que s’accomplisse cette descendance, pour faire exister ce dieu qui va briser la prégnance du maternel, Abraham doit payer un petit-plus en la personne de son fils Isaac ou Ismaël.
Dans l’alliance qui le lie à Yahvé, il est sur le versant du féminin. Il est celui duquel sera arraché l’enfant ou les enfants. Il est celui qui doit jurer fidélité. Et l’alliance se noue autour du puits de Chéba, comme pour signifier par cet organe féminin géologique, la vraie nature féminine d’Abraham. En dépit de sa venerabilis barbaca, Abraham doit sacrifier sa virginité comme une fiancée, en offrant son fils sur un promontoire incarnant le phallus divin.
Le petit-plus, hélas, finit par n’être que symbolique. Tant Isaac qu’Ismaël en réchappent. Si bien que la position et l’existence de Yahvé demeure vacillante. Il est clair que si le tribut n’est pas honoré, il n’y a pas de raison que dieu soit fidèle à ses engagements. Il peut ainsi abandonner son peuple pour de longues périodes, en le laissant traumatisé et captif de la jouissance du patriarche ou de n’importe quel personne ou organisme qui incarne la totalité non manquante. L’incertitude qui pèse sur le tribut, se reflète ainsi dans l’incertitude de la présence divine. On pourrait être tenté de croire que si le tribut était certainement offert, cela garantirait la présence protectrice de Dieu.
Ancrer Dieu à la quille de la mort
C’est probablement ce qu’a pensé Jésus-Christ. En s’offrant certainement à Dieu dans la rédemption, il assurerait la présence pérenne de Dieu. Remplaçant l’incertitude de la vie et de la mort par une double certitude, celle de sa mort et celle de sa résurrection, soit de la présence de Dieu. Dieu étant le pasteur de l’humanité toute entière, sacrifier un seul homme pour assurer la pérennité de la présence de Dieu était un coût relativement modeste pour un si important résultat. À cet avantage s’ajoute le fait que la présence de Dieu ne dépendant plus du comportement des hommes, ceux-ci acquièrent désormais la liberté de bien faire ou de mal faire sans que leurs actes n’aient de conséquences. La rédemption prend ainsi tout son sens de racheter tous les péchés du monde, en assurant que Dieu ne se détourne jamais des hommes, pour cette raison ou pour une autre, du reste.
Dieu le père devient Dieu la mère
Le résultat surprenant de cette démarche de Jésus-Christ, je suppose qu’il l’avait peut-être prévue, a été qu’on a assisté à une féminisation de Yahvé. Le Dieu colérique, capable de laisser les Philistins mettre les Juifs en morceaux, est devenu infiniment bon et miséricordieux comme une maman. Ceci n’est pas le fruit du hasard ou d’une volonté de Jésus-Christ de promouvoir le bien au détriment du mal. C’est plutôt le résultat d’une logique inexorable qui fait que tout ce qui est certain est du coté du maternel, tandis que tout ce qui est incertain est du coté paternel. Et celui qui passe de l’incertitude à la certitude change de statut et, quelque soit son sexe, de père devient mère. En raison du fait que l’incertitude ménage la possibilité d’un choix. La possibilité ou plutôt l’obligation de choisir ou non d’avoir un père est peut-être l’essence de la paternité.
Par la rédemption, Jésus-Christ introduit Dieu comme étant continûment présent. Quand bien même on le rejetterait, il demeure présent et toujours aussi aimant. On peut dire qu’il est tout aussi présent que l’on est certain que Jésus-christ est mort. Les signes caractéristiques de la maternité sont secondaires à la certitude. On pourrait dire que le caractère maternel de Dieu est le phénotype d’un noyau essentiel qui est la certitude de sa présence continue.
Infiniment maternante, la présence de Dieu devient très rapidement étouffante. Il faut trouver une solution rapide pour restaurer ne serait-ce que momentanément la dimension paternelle. Il s’agit alors de répéter la certitude du sacrifice. Celle-ci ranime la présence de Dieu le père mais, malheureusement, dans un même mouvement, il devient Dieu la mère. Et il faut tout recommencer.
Toutes les religions d’origine abrahamiques sont susceptibles de produire le même mécanisme répétitif qui cherche à faire exister Dieu dans sa dimension paternelle. Ceux qui se sentent abandonnés par leur propre dieu, sont susceptibles de pratiquer ou de mettre en valeur ce type de sacrifice pour revitaliser sa présence. On peut penser aux premiers chrétiens qui s’offraient en holocauste, bien que le sacrifice de Jésus aurait dû suffire. Les Juifs et les Musulmans sont aussi susceptibles de développer un comportement comparable.
Le Saint-Esprit
Au lieu de répéter le sacrifice, il est aussi possible d’inventer un concept lieu-tenant de dimension paternelle. Les Chrétiens ont élaboré le concept de Saint-Esprit qui vient trianguler une relation mère-fils faussement appelée père-fils. La Saint-Trinité me paraît être une bonne façon de sauver la dimension paternelle un peu trop féminisée par la certitude de la présence de Dieu.
On pourrait donner à tout ce que je viens de dire un autre éclairage en le reformulant avec des concepts psychanalytiques. Tout au long de ce texte, j’ai essentiellement tourné autour du concept de «forclusion du nom du père». La question qui s’est posée au fond dès l’origine pour les fils de la horde, est la suivante :«Faut-il baiser au nom d’Abraham ou bien au nom de Dieu?» Il y a forclusion du nom du père lorsque la réponse est :«au nom d’Abraham».
Lorsque le plus-de-jouir ou la plus-value ne peut plus être transféré à un tiers, il y a égalisation entre le sujet et l’Autre. L’opposition symbolique entre le sujet et l’Autre risque de s’effondrer. Le sujet est alors coincé dans sa communauté. Il risque d’être totalement absorbé par le système symbolique communautaire. Il n’est plus qu’un membre anonyme de sa communauté sans aucune marge de liberté. La capacité même de faire du sens disparaît, parce que le mot est collé à la chose et peut aussi peut s’en extraire que notre sujet se distinguer de l’Autre.
Décoller le mot de la chose
La seule liberté qui lui reste est celle de mourir, espérant ainsi payer Dieu pour qu’il revienne. Pour décoller le mot de la chose, il ne lui reste plus qu’à être chose. Mourir est une façon de démontrer que le mot, et donc le système symbolique, n’est pas seul et tout puissant. Le corps mort qui s’en décolle est la preuve que la chose existe et que le père existe puisqu’il a réussi à trancher entre le mot et la chose.
La violence auto mutilatrice du psychotique, la violence sacrificielle des communautés est une violence mystique qui vise à faire exister Dieu le père. Curieusement cependant, au bout de ce processus sacrificiel qui fait exister Dieu, il arrive que le processus s’inverse en son contraire. Il arrive que la jouissance que procure le Système symbolique est telle qu’elle incite le sujet ou la communauté à profiter de la toute nouvelle présence du père pour le tuer dans un geste oedipien de rivalité.
Mourir pour ranimer la présence de Dieu, puis le tuer pour revenir à la jouissance maternelle, tel est le cycle qui caractérise la violence communautaire. Les embrasements inter-communautaires sont autant faits pour mourir que pour tuer. Ce sont des embrassements dans la mort où chacun joue le rôle du père pour l’autre.
Résumé
Les Psychanalystes ont compris la théorie de «la horde primitive» de Freud comme étant un super Œdipe dans lequel le père de la horde, à la manière d’un Sultan, aurait un harem qu’il se réserve pour son usage personnel. Au lieu d’une femme et d’un fils, comme dans l’Œdipe traditionnel, il aurait eu un groupe de femmes et un groupe de fils qu’il traiterait de façon idoine. Ça me paraît une compréhension assez erronée tant de l’Œdipe que de la théorie de «la horde».
Je propose plutôt une compréhension de cette théorie ou chaque femme serait certes possédée par le père de la horde mais serait, en revanche, associée à un fils qui serait chargé de la féconder au nom de père. Comme le capitaliste qui possède les machines et met les ouvriers au travail sur chacune d’elles.
Comprise ainsi, la structure de la horde est comparable à la structure communautaire aussi bien, du reste, qu’à la structure capitaliste. Même qu’il y a un plus-de-jouir, élaboré par Lacan, qui correspond à la plus-value.
Le problème est alors de savoir qui est celui qui prélève le plus-de-jouir. Est-ce le père de la horde équivalent au Patriarche de la communauté? Ou bien quelqu’un d’autre? Et d’ailleurs est-ce vraiment le capitaliste qui prélève la plus-value?
Dans l’exemple d’Abraham, si c’est lui qui recueille le plus-de-jouir de toute la communauté, il devient l’incarnation d’une totalité sans reste. Et, du fait même, il devient femme. Ce qui l’amène, devant cette impasse étonnante, à faire appel à un dieu viril : Yahvé. C’est à lui que doit revenir le plus-de-jouir. Abraham doit prélever sur l’ensemble de ses enfants futurs, le premier d’entre eux et l’investir en Yahvé, investissant ainsi Yahvé d’un statut de père de la communauté.
Les prélèvements ne sont cependant pas toujours réguliers. Isaac ou Ismaël sont plus souvent qu’autrement sauvés in extremis. Yahvé peut alors s’absenter pour de longues périodes estimant ne pas avoir obtenu son dû.
Pour garantir le retour de Dieu, Jésus imagine de payer la dette une bonne fois pour toutes. Yahvé devenu Dieu garantit désormais sa présence, ce qui a pour effet de le féminiser comme Abraham tout à l’heure. Il devient bon et miséricordieux comme une maman. Il faut alors tout recommencer, mais avec le Saint-Esprit cette fois en position de tiers. D’ou la Trinité chrétienne qui n’aurait pas existé sans la féminisation de Dieu.
Enfin la violence des communautés s’explique de ce qu’elles sont prises dans le maternel et ne parviennent pas à s’inventer un tiers qui vienne trianguler la féminisation de l’ancêtre. Ce qui les met dans un état de type psychotique ou le mot et la chose ne sont pas décollables.
Resumen
Comunidad y violencia
Los psicoanalistas han comprendido la teoría de « la horda primitiva » de Freud como tratándose de un súper Edipo donde el padre de la horda, a la manera de un sultán, posee un harén que se reserva para su uso exclusivo. En vez de una mujer y de un hijo, como en el Edipo tradicional, él tendría un grupo de mujeres y un grupo de hijos a los que trataría idóneamente. Me parece una comprensión harto equivocada del Edipo así como de la teoría de « la horda ». Yo propongo más bien una comprensión de esta teoría en donde cada mujer sería, claro, poseída por el padre de la horda pero que también estaría asociada a un hijo encargado de fecundarla en el nombre del padre. Como el capitalista que posee las máquinas e instala a los obreros a trabajar en cada una de ellas.
Así entendida, la estructura de la horda es perfectamente comparable a la estructura comunitaria así como a la estructura capitalista. Incluso existe un plus-de-gozar, elaborado por Lacan, que corresponde a la plus-valía.
El problema, entonces, es saber quién es el que recoge el plus-de-gozar. ¿Es acaso el padre de la horda, equivalente al patriarca de la comunidad? ¿O se trata más bien de otro? Además, ¿es verdaderamente el capitalista quien recoge la plus-valía?
En el ejemplo de Abraham, si es él el que recoge el plus-de-gozar de toda la comunidad, éste encarna entonces una totalidad sin resto. Y a causa de ese hecho, precisamente, él deviene mujer. Frente a este sorprendente impase, él debe invocar a un dios viril : Yahvé. Es a éste al que debe corresponderle el plus-de-gozar. Abraham debe coger, dentro del conjunto de sus hijos futuros, al primogénito e investirlo en Yahvé, invistiéndolo así de un estatuto de padre de la comunidad.
Sin embargo, las exacciones no son siempre regulares. Isaac o Ismael son con frecuencia salvados in extremis. Yahvé puede entonces ausentarse por largos períodos estimándose insatisfecho de lo que se le adeuda.
Para garantizar el retorno de Dios, Jesús imagina el pago de la deuda de una vez por todas. Yahvé devenido Dios garantiza a partir de ahora su presencia, lo que produce el efecto de feminizarlo, como antes a Abraham. Él se transforma en bueno y misericordioso como una mamá. Todo debe entonces recomenzar, pero esta vez con el Espíritu Santo en posición de tercero. De ahí pues la trinidad cristiana que no habría podido existir sin la feminización de Dios.
Finalmente, la violencia de las comunidades se explica por el hecho de que éstas se encuentran atrapadas en lo materno y no consiguen inventarse un tercero que venga a triangular la feminización del ancestro. Esto las coloca en un estado psicótico donde la palabra y la cosa no son separables.
Riassunto
Abramo fidanzata di Yahvé
Comunità e violenza
Gli psicanalisti hanno capito la teoria « della orda » primitiva di Freud come un super Eudipe, nella quale il padre della codesta orda, a modo d’un Sultano, avrebbe un serraglio che si riservasse per il suo proprio ed unico uso. Al posto d’una donna et d’un figlio, come nell’Eudipe tradizionale, egli avrebbe un gruppo di donne e un gruppo di figli che tratterrebbe in modo idoneo. Ciò mi sembra un’interpretazione o una comprensione assai errata, tanto dell’Eudipe quanto della teoria « della orda ». Io propongo, piuttosto, un’interpretazione di questa teoria ove ogni donna sarebbe certo posseduta dal padre della orda, ma sarebbe, a sua volta, socia d’un figlio incaricato di fecondarla in nome del padre. Un po’ come il capitalista che possiede il macchinario e che fa lavorare gli operai, su di esso, per conto suo.
Compresa così, la struttura della orda è paragonabile alla struttura comunitaria, come pure, del resto, alla struttura capitalista. Anche se c’è un maggior godimento (più godimento) elaborato da Lacan et che corrisponde ad uno plusvalore.
Il problema è di sapere chi è colui che preleva il maggior godimento. Sarebbe il padre della orda ovvero il Patriarca della comunità ? Oppure qualcun’altro ? E, d’altronde, è realmente il capitalista che preleva il plusvalore ?
Nell’esempio di Abramo, se è lui che raccoglie il maggior godimento di tutta la comunità, egli diventa l’incarnazione d’una totalità senza resto. E proprio per questo egli diventa donna. Ciò che lo conduce al paradosso di implorare un dio virile : « Yahvé ». E a lui toccherebbe il maggior godere. Abramo deve prelevare sull’insieme da suoi futuri figli, il primo fra loro e farne un Yahvé, investendolo, così, dello statuto di padre della comunità.
Codesti prelievi non sono, comunque, sempre regolari. Isaac e Ismael sono molto spesso salvati « in extremis ». Yahvé può allora, assentarsi a lungo stimando di non aver ottenuto ciò che gli spettava.
Alfine di garantire il ritorno di Dio, Gesù immagina di pagare il suo debito una buona volta per tutte. Yahvé divenuto Dio garantisce d’ora innanzi la sua presenza ciò che ha come conseguenza a di femminizzarlo, come Abramolo fu. Egli diventa buono e misericordioso come una mamma. Bisogna, allora, ricominciare da capo, ma con il Santo Spirito, questa volta, in posizione d’un terzo. Da qui la Trinità cristiana che non sarebbe esistita senza la femminilizzazione di Dio.
Infine, la violenza delle comunità si spiega dal fatto che esse si trovano alle prese con il sentimento materno e non riescono ad inventarsi un terzo che triangoli la femminilità dell’avo. C’è che le mette in uno stato psicotico in cui la parola e la cosa non possono distaccarsi.
Le harem du sultan
Depuis que, dans «Totem et tabou», Freud a formulé sa théorie de la horde primitive, il a mis les Psychanalystes dans le plus grand embarras. Sa théorie a l’air tellement abstraite et déconnectée de la réalité que beaucoup ont fini par convenir que c’était un état collectif qui n’avait jamais existé, mais qui avait simplement le mérite de mettre en scène la naissance de la loi.
Lorsque Freud dit que le père de la horde possédait toutes les femmes, tout le monde a compris qu’il couchait avec toutes et privait tous ses fils de cette éventualité. La théorie de la horde a été comprise à l’image du harem d’un sultan ottoman ou comme un super Œdipe collectif. Au lieu d’un fils et d’une mère, il y aurait un groupe de fils et un groupe de mères.
Cette compréhension des faits est loin de rendre justice à la pensée de Freud. Elle reste en surface et ne permet pas d’en saisir la profondeur. Un petit déplacement dans la compréhension permet au contraire de retrouver sa perspicacité.
Que le père de la horde possède toutes les femmes, soit! Mais cela n’implique pas qu’il couche avec toutes. Les choses deviennent beaucoup plus compréhensibles, si l’on admet que chaque fils couche avec une femme, mais le fait au nom du père de la horde qui les possède toutes. Ici, la possession est un véritable droit de propriété du père qui n’a pas de rapport avec la jouissance que chaque fils tire de la femme qui lui a été attribuée.
Au nom du père
Chaque fils serait ainsi mis en demeure de procréer au non du père. Cette version des faits a, et de loin, beaucoup plus d’ancrage dans la réalité. Elle correspond, on le devinera aisément, à la structure tribale. L’ancêtre de la tribu donne son nom à toute la collectivité. Chaque fils doit exercer sa jouissance au nom de l’ancêtre et se trouve donc dépossédé de l’instrument de cette jouissance : le phallus. La jouissance qu’il tire de «sa» femme est une jouissance pour l’Autre qu’est l’ancêtre. Déjà que «sa» femme est possédée par celui-ci, il doit de surcroît lui offrir sa jouissance.
Logiquement, la situation est tout à fait comparable à celle du capitaliste décrite par Marx. Il possède toutes les machines, mais il est incapable de travailler sur toutes. Il doit affréter des ouvriers qui lui offriront leur force de travail contre rémunération. Rémunération sur laquelle il prélèvera son profit : la plus-value.
Jouir de «sa» femme revient à travailler sur la machine du capitaliste. Dans les deux cas, le fils offre son énergie vitale, sexuelle ou mécanique, non pas à «sa» femme ou à «sa» machine, mais au propriétaire de l’une ou de l’autre.
Certes, comme l’ouvrier, le fils de la horde va recevoir un certain salaire qui est sa jouissance dans l’accomplissement de ce travail. De ce salaire, cependant, sera prélevée une certaine partie, le plus-de-jouir qui le laissera dans une certaine insatisfaction de ne pas avoir été compensé entièrement pour l’effort accompli.
Il va lui falloir cent fois sur le métier remettre son ouvrage en essayant en vain de retrouver le plus-de-jouir perdu.
Le prolétaire de la structure communautaire
Vu sous cet angle, le mythe de la horde primitive acquiert une réalité inattendue. Il s’agit tout simplement d’une description de la structure communautaire. Chaque homme de la communauté travaille spontanément pour la reproduction et la grandeur de celle-ci. C’est un prolétaire au même titre que l’ouvrier. Parce qu’il s’inscrit dans une structure capitaliste, mais aussi parce qu’étymologiquement le prolétaire est celui qui prolifère.
En se laissant prélever une part de sa jouissance ou une part de son travail, plus-de-jouir ou plus value, le prolétaire, qu’il soit sexuel ou économique, contribue à la construction et à l’expansion de l’édifice. Ce petit-plus est en somme la cheville ouvrière du système. Il a fait l’objet d’innombrables réflexions et débats, tant dans le champ de la Psychanalyse que du Marxisme.
Il était clair pour Freud jusqu’à ses derniers écrits que l’insatisfaction était le gage de la survie des pulsions sexuelles. Pour Lacan, il a fallu partir en lutte contre ceux qui prétendaient qu’on pouvait atteindre une maturité sexuelle satisfaisante à la phase génitale. Il a restauré l’insatisfaction de façon spectaculaire en la nommant plus de jouir, ce qui n’était pas anodin dans la France de 68.
Marx, par contre, avait une dent contre la plus-value, symbole du système capitaliste à ses yeux. Il a tout fait pour rendre à l’ouvrier ce qui revient à l’ouvrier. Mal lui en a pris parce que, ce faisant, il a fait disparaître le désir de produire en lui enlevant cette part d’insatisfaction stimulante. Qu’il n’y ait plus de différence entre le travail de l’ouvrier et son salaire entraîne une situation imaginaire en miroir. Aucun détail ne diffère entre Narcisse et son image. L’immobilité, la fascination et, potentiellement, la mort sont imminentes : la mort du désir.
Sans ce petit-plus manquant, ou sans manque de ce petit-plus, il n’y a plus de différence entre le proliférataire et l’ensemble pour lequel il travaille ou pour lequel il jouit. L’ouvrier fait partie du système capitaliste, le fils fait partie de la communauté et du système religieux. L’ensemble est total ou, plus exactement totalitaire, et chaque prolétaire fait partie organiquement de l’ensemble, fait partie du tout sans reste.
La petite différence
Marx a cru que ce petit-plus était injustement prélevé par le capitaliste, pour le capitaliste. Il a fait croire a bien du monde que ce plus devait être restitué à son légitime propriétaire. Petite erreur qui a eu des conséquences incalculables, toutes tragiques. Heureusement que ce ne fut pas le cas de Freud ou de Lacan. Freud a bien vu et bien compris que le petit morceau de jouissance dont était privé l’enfant était destiné au père et non à la mère. Et Lacan de surenchérir que, selon le statut du père, ce prélèvement pouvait prendre la forme d’une privation, d’une frustration ou d’une castration.
Pour sortir de la totalité sans reste, pour échapper au totalitaire, il importe que le petit plus aille investir un tiers. Investir dans le sens de déposer en ce tiers une certaine quantité de valeur, mais aussi dans le sens d’honorer, d’élever ce tiers à un certain statut. Il s’agit en somme d’investir le petit-plus auprès d’un tiers, afin de l’investir d’un pouvoir susceptible de nous sortir de la totalité sans reste.
Vous l’avez probablement deviné, ce tiers est, de façon assez évidente, nul autre que Dieu. Dieu est investi de la charge, moyennant le petit-plus qu’on lui donne, de nous sortir de l’enfermement communautaire, religieux ou plus simplement institutionnel qui pourrait devenir dangereusement hermétique.
Il est clair ici que Dieu et la religion sont deux choses tout à fait distinctes. Sans Dieu, la religion se sclérose dans la littéralité du texte révélé ou dans la minutie du rituel traditionnel. Avec Dieu, par contre, une religion peut garder sa vitalité et se renouveler sans cesse, se réinventer en somme.
Abraham fiancée de Dieu
L’histoire d’Abraham est très éclairante à cet égard. Elle met en scène de bout en bout l’alternative entre l’adhérence au maternel communautaire et religieux, d’une part, et la menace paternelle et divine, d’autre part. Comme père, Abraham a du mal à procréer, un peu comme s’il ne parvenait pas à soutirer à sa femme un bébé en raison de la trop forte adhérence au maternel.
Par la suite, une fois contractée l’alliance de BirChéba avec Yaveh, Abraham change de statut. En tant que patriarche il est lui même gros de millions d’enfants futurs. Encore faut-il que quelqu’un parvienne à lui faire lâcher le morceau sinon il risque, comme Sarah, de laisser jouer l’adhérence au maternel. Pour que s’accomplisse cette descendance, pour faire exister ce dieu qui va briser la prégnance du maternel, Abraham doit payer un petit-plus en la personne de son fils Isaac ou Ismaël.
Dans l’alliance qui le lie à Yahvé, il est sur le versant du féminin. Il est celui duquel sera arraché l’enfant ou les enfants. Il est celui qui doit jurer fidélité. Et l’alliance se noue autour du puits de Chéba, comme pour signifier par cet organe féminin géologique, la vraie nature féminine d’Abraham. En dépit de sa venerabilis barbaca, Abraham doit sacrifier sa virginité comme une fiancée, en offrant son fils sur un promontoire incarnant le phallus divin.
Le petit-plus, hélas, finit par n’être que symbolique. Tant Isaac qu’Ismaël en réchappent. Si bien que la position et l’existence de Yahvé demeure vacillante. Il est clair que si le tribut n’est pas honoré, il n’y a pas de raison que dieu soit fidèle à ses engagements. Il peut ainsi abandonner son peuple pour de longues périodes, en le laissant traumatisé et captif de la jouissance du patriarche ou de n’importe quel personne ou organisme qui incarne la totalité non manquante. L’incertitude qui pèse sur le tribut, se reflète ainsi dans l’incertitude de la présence divine. On pourrait être tenté de croire que si le tribut était certainement offert, cela garantirait la présence protectrice de Dieu.
Ancrer Dieu à la quille de la mort
C’est probablement ce qu’a pensé Jésus-Christ. En s’offrant certainement à Dieu dans la rédemption, il assurerait la présence pérenne de Dieu. Remplaçant l’incertitude de la vie et de la mort par une double certitude, celle de sa mort et celle de sa résurrection, soit de la présence de Dieu. Dieu étant le pasteur de l’humanité toute entière, sacrifier un seul homme pour assurer la pérennité de la présence de Dieu était un coût relativement modeste pour un si important résultat. À cet avantage s’ajoute le fait que la présence de Dieu ne dépendant plus du comportement des hommes, ceux-ci acquièrent désormais la liberté de bien faire ou de mal faire sans que leurs actes n’aient de conséquences. La rédemption prend ainsi tout son sens de racheter tous les péchés du monde, en assurant que Dieu ne se détourne jamais des hommes, pour cette raison ou pour une autre, du reste.
Dieu le père devient Dieu la mère
Le résultat surprenant de cette démarche de Jésus-Christ, je suppose qu’il l’avait peut-être prévue, a été qu’on a assisté à une féminisation de Yahvé. Le Dieu colérique, capable de laisser les Philistins mettre les Juifs en morceaux, est devenu infiniment bon et miséricordieux comme une maman. Ceci n’est pas le fruit du hasard ou d’une volonté de Jésus-Christ de promouvoir le bien au détriment du mal. C’est plutôt le résultat d’une logique inexorable qui fait que tout ce qui est certain est du coté du maternel, tandis que tout ce qui est incertain est du coté paternel. Et celui qui passe de l’incertitude à la certitude change de statut et, quelque soit son sexe, de père devient mère. En raison du fait que l’incertitude ménage la possibilité d’un choix. La possibilité ou plutôt l’obligation de choisir ou non d’avoir un père est peut-être l’essence de la paternité.
Par la rédemption, Jésus-Christ introduit Dieu comme étant continûment présent. Quand bien même on le rejetterait, il demeure présent et toujours aussi aimant. On peut dire qu’il est tout aussi présent que l’on est certain que Jésus-christ est mort. Les signes caractéristiques de la maternité sont secondaires à la certitude. On pourrait dire que le caractère maternel de Dieu est le phénotype d’un noyau essentiel qui est la certitude de sa présence continue.
Infiniment maternante, la présence de Dieu devient très rapidement étouffante. Il faut trouver une solution rapide pour restaurer ne serait-ce que momentanément la dimension paternelle. Il s’agit alors de répéter la certitude du sacrifice. Celle-ci ranime la présence de Dieu le père mais, malheureusement, dans un même mouvement, il devient Dieu la mère. Et il faut tout recommencer.
Toutes les religions d’origine abrahamiques sont susceptibles de produire le même mécanisme répétitif qui cherche à faire exister Dieu dans sa dimension paternelle. Ceux qui se sentent abandonnés par leur propre dieu, sont susceptibles de pratiquer ou de mettre en valeur ce type de sacrifice pour revitaliser sa présence. On peut penser aux premiers chrétiens qui s’offraient en holocauste, bien que le sacrifice de Jésus aurait dû suffire. Les Juifs et les Musulmans sont aussi susceptibles de développer un comportement comparable.
Le Saint-Esprit
Au lieu de répéter le sacrifice, il est aussi possible d’inventer un concept lieu-tenant de dimension paternelle. Les Chrétiens ont élaboré le concept de Saint-Esprit qui vient trianguler une relation mère-fils faussement appelée père-fils. La Saint-Trinité me paraît être une bonne façon de sauver la dimension paternelle un peu trop féminisée par la certitude de la présence de Dieu.
On pourrait donner à tout ce que je viens de dire un autre éclairage en le reformulant avec des concepts psychanalytiques. Tout au long de ce texte, j’ai essentiellement tourné autour du concept de «forclusion du nom du père». La question qui s’est posée au fond dès l’origine pour les fils de la horde, est la suivante :«Faut-il baiser au nom d’Abraham ou bien au nom de Dieu?» Il y a forclusion du nom du père lorsque la réponse est :«au nom d’Abraham».
Lorsque le plus-de-jouir ou la plus-value ne peut plus être transféré à un tiers, il y a égalisation entre le sujet et l’Autre. L’opposition symbolique entre le sujet et l’Autre risque de s’effondrer. Le sujet est alors coincé dans sa communauté. Il risque d’être totalement absorbé par le système symbolique communautaire. Il n’est plus qu’un membre anonyme de sa communauté sans aucune marge de liberté. La capacité même de faire du sens disparaît, parce que le mot est collé à la chose et peut aussi peut s’en extraire que notre sujet se distinguer de l’Autre.
Décoller le mot de la chose
La seule liberté qui lui reste est celle de mourir, espérant ainsi payer Dieu pour qu’il revienne. Pour décoller le mot de la chose, il ne lui reste plus qu’à être chose. Mourir est une façon de démontrer que le mot, et donc le système symbolique, n’est pas seul et tout puissant. Le corps mort qui s’en décolle est la preuve que la chose existe et que le père existe puisqu’il a réussi à trancher entre le mot et la chose.
La violence auto mutilatrice du psychotique, la violence sacrificielle des communautés est une violence mystique qui vise à faire exister Dieu le père. Curieusement cependant, au bout de ce processus sacrificiel qui fait exister Dieu, il arrive que le processus s’inverse en son contraire. Il arrive que la jouissance que procure le Système symbolique est telle qu’elle incite le sujet ou la communauté à profiter de la toute nouvelle présence du père pour le tuer dans un geste oedipien de rivalité.
Mourir pour ranimer la présence de Dieu, puis le tuer pour revenir à la jouissance maternelle, tel est le cycle qui caractérise la violence communautaire. Les embrasements inter-communautaires sont autant faits pour mourir que pour tuer. Ce sont des embrassements dans la mort où chacun joue le rôle du père pour l’autre.
Résumé
Les Psychanalystes ont compris la théorie de «la horde primitive» de Freud comme étant un super Œdipe dans lequel le père de la horde, à la manière d’un Sultan, aurait un harem qu’il se réserve pour son usage personnel. Au lieu d’une femme et d’un fils, comme dans l’Œdipe traditionnel, il aurait eu un groupe de femmes et un groupe de fils qu’il traiterait de façon idoine. Ça me paraît une compréhension assez erronée tant de l’Œdipe que de la théorie de «la horde».
Je propose plutôt une compréhension de cette théorie ou chaque femme serait certes possédée par le père de la horde mais serait, en revanche, associée à un fils qui serait chargé de la féconder au nom de père. Comme le capitaliste qui possède les machines et met les ouvriers au travail sur chacune d’elles.
Comprise ainsi, la structure de la horde est comparable à la structure communautaire aussi bien, du reste, qu’à la structure capitaliste. Même qu’il y a un plus-de-jouir, élaboré par Lacan, qui correspond à la plus-value.
Le problème est alors de savoir qui est celui qui prélève le plus-de-jouir. Est-ce le père de la horde équivalent au Patriarche de la communauté? Ou bien quelqu’un d’autre? Et d’ailleurs est-ce vraiment le capitaliste qui prélève la plus-value?
Dans l’exemple d’Abraham, si c’est lui qui recueille le plus-de-jouir de toute la communauté, il devient l’incarnation d’une totalité sans reste. Et, du fait même, il devient femme. Ce qui l’amène, devant cette impasse étonnante, à faire appel à un dieu viril : Yahvé. C’est à lui que doit revenir le plus-de-jouir. Abraham doit prélever sur l’ensemble de ses enfants futurs, le premier d’entre eux et l’investir en Yahvé, investissant ainsi Yahvé d’un statut de père de la communauté.
Les prélèvements ne sont cependant pas toujours réguliers. Isaac ou Ismaël sont plus souvent qu’autrement sauvés in extremis. Yahvé peut alors s’absenter pour de longues périodes estimant ne pas avoir obtenu son dû.
Pour garantir le retour de Dieu, Jésus imagine de payer la dette une bonne fois pour toutes. Yahvé devenu Dieu garantit désormais sa présence, ce qui a pour effet de le féminiser comme Abraham tout à l’heure. Il devient bon et miséricordieux comme une maman. Il faut alors tout recommencer, mais avec le Saint-Esprit cette fois en position de tiers. D’ou la Trinité chrétienne qui n’aurait pas existé sans la féminisation de Dieu.
Enfin la violence des communautés s’explique de ce qu’elles sont prises dans le maternel et ne parviennent pas à s’inventer un tiers qui vienne trianguler la féminisation de l’ancêtre. Ce qui les met dans un état de type psychotique ou le mot et la chose ne sont pas décollables.