Compte-rendu de la LXXXIVe Assemblée de la Société Suisse de Psychiatrie

avril 25, 2021 0 Par Karim Richard Jbeili

Textes du jeune Lacan

Compte-rendu de la LXXXIVe Assemblée de
 
               la Société Suisse de Psychiatrie

 

 

                           J. Lacan

 

                  Prangins, 7-8 octobre 1933

Sur le problème des hallucinations

     Nous limitons ce compte rendu aux deux séances de travaux scientifique consacrées au problème à l’ordre du jour de l’hal lucination.  Trois rapports.  Une discussion.  Des communications.

     Nous ne pouvons que signaler les remarquables indications des discours d’ouverture du docteur R. de Saussure, président du Con grès, qui, rappelant très heureusement la filiation intellectuelle de Pinel au botaniste Boissier-Sauvage, oppose l’ »esprit de natura liste » qui anime la psychiatrie française à l’esprit de spéculation sur l’essence, quii marque la tradition allemande depuis ses origi nes Stahliennes; c’est pour souhaiter que l’étude de nos problèmes soit abordée dans un esprit de synthèse.

     Le rapport du professeur H. Maier de Zurich nous donne tout d’abord une revue générale des diverses théories anciennes et mo dernes de l’hallucination.  S’il insiste sur la critique clinique des faits, telle qu’elle s’est achevée pour l’école allemande dans la séparation, reprise par Jaspers, des hallucinations vraies et des pseudo-hallucinations, il cite en passant les théories mécani ques de l’hallucination, projection d’une activité corticale auto matique, telles qu’avec Tamburini et Tanzi elles ont joué leur rôle dans l’interprétation même des phénomènes.  C’est pour rejeter dans leur ensemble les conceptions anciennes, qui pour lui pèchent par le point de vue même qui les fonde.  Les distinctions en effet, produites comme essentielles au problème, entre sensation, percep tion, représentation, n’ont à ses yeux qu’une valeur didactique, mais sont sans valeur clinique, dans la mesure même où les critères de « matérialité », de « réalité », d’ »intensité » se sont révélés in suf fisants pour définir les perceptions morbides.

     Il faut désormais étudier l’hallucination non comme un phé nomène isolé ou comme une entité psychologique, mais dans ses rap ports avec la personnalité totale et les altérations de celle-ci.  Ce point de vue se trouve en accord avec Gloldstein, Monakow et Mourgue et les tendances les plus jeunes de la psychiatrie fran çaise.  C’est sur lui que le professeur Maier fonde sa division génétique des hallucinations qu’il répartit ainsi;

     1o  Les hallucinations « catathymiques » ou psychogènes (le terme de catathymie créé par l’auteur désigne la formation de com plexes associatifs sous l’influence de facteurs affectifs).  Ces hallucinations sont psychogènes, non seulement quant à leur contenu mais encore quant à leur origine, pour autant que l’affaiblissement de conscience qui les conditionne relève aussi de causes psychi ques.  De telles hallucinations se rencontrent dans des états oni riques et hypnotiques, dans des délires psychonévrotiques, dans les hallucinations téléologiques pré-suicidaires, souvent salvatrices.

     2o  Les hallucinations à la fois catathymiques et organiques.  Elle sont psychogènes quant à leur contenu, mais relèvent quant à leur origine d’un affaiblissement de la conscience spécifique de tel processus pathologique du système nerveux, schizophrénie, épilepsie, mélancolie.

     3o  Les hallucinations d’origine toxique.  Leur contenu est simple, généralement indépendant des facteurs catahymiques et con ditionné par l’état du système nerveux.  Leur origine est l’affai­blissement de conscience propre aux intoxications exogènes (alcool, cocaïne, mescaline) ou endogènes:  délires aigus, urémiques, etc.).  Les contenus catathymiques observés dans certaines ivres ses alcoo liques par exemple, tiennent à des dispositions schizophréniques antérieures.

     4o  Les hallucinations d’origine organique pure.  Celles-ci relèvent des affaiblissements profonds de la conscience qu’on ob serve dans les lésions anatomiques corticales ou sous-corticales de la paralysie générale, de l’encéphalite, de la sénilité ou des trau matismes craniens.

     Le rapport de notre collège et ami H. Ey[1] résume la position d’ensemble du problème des hallucinations, telle qu’elle se dégage des différentes études de critique théorique et d’analyse clinique, fragmentées à la mesure de la complexité des faits, qui ont été le fruit de sa collaboration avec le professeur Claude.  Une harmonie saisissante y apparaît entre ses prémisses qui sont, comme on le sait, d’analyse psychologique, ou pour mieux dire, gnoséologique du phénomène de l’hallucination, et les conclusions qui sont toutes cliniques et permettent non seulement un groupement de malades plus conforme aux faits, mais, contrairement à une illusion simpliste, une plus juste et plus vaste appréciation des facteurs organiques en cause.

     C’est en effet sur la considération des rapports de l’image, de la sensation et de l’hallucination que le rapporteur fonde sa critique expérimentale des rapports entre la valeur de sensorialité et la valeur de réalité des phénomènes hallucinatoires.  On sait que c’est sur une confusion de ces deux derniers termes que repose cette théorie de l’hallucination qui, pour se prétendre la théorie organiciste par excellence, n’a droit en fait qu’à celui de théorie mécanique de l’hallucination.  Son impuissance est ici démontrée, comme de toute théorie où l’hallucination est considérée abstraite­ment comme un phénomène élémentaire:  l’hallucination est en effet essentiellement croyance à ou sans perception (ce sont les pseudo-hallucinations, les sentiments xénopathiques, etc…). Impossible donc sans l’intégrer dans l’état mental d’où elle procède, d’expli quer la croyance délirante, non plus que le sentiment xénopathique ou l’assentiment convictionnel, ni les degrés qui se révèlent infi­niment variables et non corrélatives, pour peu qu’on se garde de donner valeur d’objets à telles déclartions systématiquement choi sies du malade, et de déconnaître les variations de celles-ci, leurs postulats implicites, leur valeur métaphorique et les diffi cul tés propres à leur expression.

     Seule une telle analyse permet de donner leur véritable place aux hallucinations et aux pseudo-hallucinations dans les états oni riques et les états psycholeptiques (véritables types de l’état hal­lucinatoire), et dans les délires d’influence, dans les états oniroïdes d’action extérieure, dans les syndromes d’action exté rieure type Claude (types des états pseudo-hallucinatoires).

     On opposera aux hallucinations ainsi définies les hallucinoses comme des symptômes sensoriels isolés, ayant fréquemment un carac tère perceptif, mais sans croyance à la réalité de l’objet, sans délire.

     Or, l’hallucinose se manifeste en clinique comme ayant un rap port symptomatique direct avec une lésion neurologique, sinon par le mécanisme de plus en plus problématique de l’excitation du cen tre, du moins par celui de la désintégration fonctionnelle.

     Les hallucinations et les pseudo-hallucinations au contraire, phénomènes de la connaissance, manifestent par rapport à ses fac teurs organiques, cet écart organo-psychique qui fait l’origina lité de la psychiatrie.  Mais sans la mesure de cet écart qui est pour chaque phénomène l’objet propre de la science psychiatrique, impos si ble d’apprécier à leur juste valeur, c’est-à-dire sans les con fon dre, les conditions des états hallucinatoires, pseudo-hallucina toires et des hallucinoses.  Le rapporteur est ainsi amené par les conséquences mêmes de son investigation, et non en limitation de leur portée, à admettre deux types de chutes de niveau psychique, causes des troubles hallucinatoires:

     1o  Les chutes de niveau psychique par troubles neuro-biologiques.

     2o  Les chutes de niveau par troubles affectifs.

     Si, dans les premières, les états oniriques, les états psy choleptiques, les états de dissociation pseudo-hallucinatoires se montrent provoqués par les infections, les intoxications les plus diverses et une grande variété de lésions neurologiques, dans les secondes prédominent les mécanismes d’ambivalence affective, les attitudes d’objectivation propres à certains états délirants, qu’ils soient liés eux-mêmes à un épisode organique passager ou bien purement psychogénétique.  Mais de même que dans ce second groupe n’est pas masqué le mécanisme physiologique de l’émotion, dans le premier joue un rôle efficace la personnalité, c’est-à-dire tout le complexe historico-idéo-social, dans lequel nous avons nous-même tenté de la définir.

     Le rapport du docteur H. Flournoy de Genève se limite dans le problème en question au point de vue psychanalytique.  Dans une première partie il expose la doctrine commune de la psychanalyse sur l’hallucination.  La psychogénèse en est constituée par la réalisation d’un désir, créatrice non pas d’une image-souvenir, mais d’une image de perception.  Cette création ressortit à l’état de veille d’une véritable régression dans le cycle sensorio-psycho-moteur, régression topique (laquelle est fonction de l’intensité des pulsions); il s’ajoute à elle une régression chronologique, où se marque l’influence des souvenirs refoulés.  Le caractère pénible de nombreuses hallucinations est loin d’exclure une telle genèse, si l’on prend garde à la finalité de tels contenus hallucinatoires, à leur caractère symbolique, et si l’on tient compte des processus d’auto-punition d’une importance si capitale.  La structure des psychoses hallucinatoires ne serait pas suffisamment caractérisée si l’on ne soulignait que la rupture du moi avec la réalité y prend la forme d’un véritable envahissement du moi (psychoses non de défense, Abwehr-psychosen, – mais de submersion, Uberwälligung-psychosen).  Il s’agit en réalité d’une véritable régression à une phase primitive hallucinatoire du moi, que postule la doctrine de Freud, et qui correspond au stade du narcissisme.  Les hallucina tions auditives verbales, tant par leur connexion avec la verbo-motricité que par leur contenu, révèlent cependant une autre genèse en relation avec le sur-moi.

     Dans une deuxième partie de considérations personnelles ex trêmement suggestives, le rapporteur démontre l’indissolubilité essentielle du contenu et de la forme dans le symptôme en psychia trie et fonde sur ce fait la valeur véritablement biologique de la psychanalyse.  Il groupe ensuite tous les faits, depuis la psycho lo gie de l’enfant jusqu’aux « dispositions hallucinatoires » admises par Bleuler comme normales chez l’adulte et chez le vieillard, qui peuvent être considérés comme les résidus cliniques de cette phase primitive hallucinatoire et permettent d’en considérer l’hypothèse comme fondée.  Il répartit enfin les facteurs étiologiques des troubles hallucinatoires sous trois chefs:

     1o  Altération du système nerveux central.

     2o  Perturbation du système organo-végétatif, où il range non seulement des faits comme ceux qu’a mis en valeur Head dans les af fections viscérales, mais les hallucinations téléologiques antisui­cides.

     3o  Les traumatismes affectifs et émotionnels.  Il conclut en démontrant le parallélisme entre la psychanalyse et les plus récen tes théories dites organicistes, c’est-à-dire tout spécialement le travail de Mourgue, présent à l’esprit de tous dans un tel Congrès.

     La discussion est ouverte par une intervention du professeur Claude.  Ecartant les divergences d’esprit et de méthode qui peu vent le séparer des rapporteurs, il veut concentrer le débat sous le point de vue clinique.  Il montre les nombreuses variétés tant qualitatives qu’évolutives du symptôme hallucinatoire.  Cette com plexité même exige une discipline terminologique, dont le profes seur Claude montre toute l’importance par des exemples appropriés, tels que le paradoxe de l’usage de certains termes chez certains auteurs, celui d’hallucinose par exemple chez Wernicke; les dé finitions même d’Esquirol ou de Ball lui paraissent de peu d’usage pratique.  Ce qui ressort de ‘expérience de la clinique, ce sont certains groupes bien définis:

     1o  les états d’hallucinose, dont les perceptions morbides empruntent certains caractères à l’hallucination, mais n’entraînent pas la croyance à l’objet, sont dépourvues de charge affective et ne s’intègrent pas à la personnalité du sujet; ce sont des troubles de nature neurologique;

     2o  les hallucinations vraies, dont M. Claude précise les ca ractères de qualité sensorielle et de nature délirante, et où, à côté des mécanismes psychogéniques, il faut admettre des détermi nismes organiques, comme le montrent les faits qu’il a récemment étudiés dans l’encéphalopathie parkinsonienne;

     3o  les pseudo-hallucinations, aux aspects symptomatiques multiples, mais tous intégrés à la personnalité, dont il a montré dès longtemps les rapports avec les manifestations de rumination mentale, les hyper-endophasies et où se marque une objectivation évidente des préoccupations du sujet.

     Le professeur Lhermitte prend la parole pour opposer à la distinction qu’établissent le professeur Claude et le docteur Ey entre l’hallucination non reconnue et l’hallucination reconnue (dont ils font l’hallucinose), des faits observés chez des déli rants séniles où la croyance délirante ne dépend que du fait que l’image hallucinatoire s’accorde ou ne s’accorde pas avec la réa lité actuelle.  Il proteste contre la séparation arbitraire de la neurologie et de la psychiatrie.  Il s’accorde avec Flournoy pour autant qu’il accuse la parenté des états hallucinatoires et du rêve, mais appuie sur la nécessité d’admettre, à côté du dynamisme du désir, un état fonctionnel spécial, l’hallucinatory state.

     Le professeur L. van Bogaërt souligne l’intérêt de ces recher ches pour les neurologistes; il insiste sur leur convergence avec les points de vue actuels de la neurologie, très éloignés de la dé­termination immédiate et irritative du symptôme par la lésion; il po se la question du classement nosologique des photopsies, chroma to psies, hyperacousies et autres phénomènes sensoriels élémentai­res.

     La discussion ne s’achèvera qu’après les communications diver ses dont nous regrettons de ne pouvoir assez mettre en valeur les éléments d’intérêt souvent multiples.

***

     L’hallucination pédonculaire, par M. Lhermitte[2]. – Lésions focales, infection encéphalitique épidémique, intoxication barbiturique, néoplasies.  Hallucinations visuelles, état affectif spécial. Rythme vespéral.  Hallucinations critiquées, mais seulement de façon relative.  Troubles corrélatifs de la fonction hypnique.  Tous ces caractères font supposer que l’état hallucinatoire, lié à la lésion mésencéphalique, relève de la fonction active du sommeil:  le rêve. (lackawanna.edu)

     Hallucinations et phénomènes oculogyres, par M. L. van Bogaërt. – Communication fondée sur trois observations remarquables dont deux déjà publiées du moins en partie.  Le premier cas[3], accès oculogyre avec hémi-anesthésie et troubles paréto-apraxiques (remarquables en ce que l’origine perceptive peut en être mise en évidence), s’est compliqué d’une hémi-algo-hallucinose très pénible avec perception anormale des dimensions du corps du même côté que les troubles anesthésiques.  Le second cas comporte durant l’accès une agnosie visuelle avec des troubles hallucinosiques visuels, qui semblent constitués par des photopsies animées et sont réductibles par l’intermédiaire de réactions vestibulaires.  Le troisième cas, crises oculogyres avec parkinsonisme et adiposité, présente d’une part des crises d’hallucinose où la malade reviet dans un état de lucidité critique et d’indifférence affective des scènes de sa vie infantile la plus émouvante, d’autre part des états noiriques confusionnels avec conviction délirante.  L’auteur conclut en admettant la parenté fonctionnelle des crises oculogyres et de l’état de sommeil, comme de deux états d’inhibition progressive d’extension et de profondeur variable, ayant certains signes en commun, modifiables par des influences de même nature.  Il insiste très pertinemment sur le rôle dans le mécanisme hallucinatoire des troubles perceptifs et gnosiques associés aux troubles de la proprioceptivité.  Il évoque les travaux importants de Steck de Lausanne sur des cas analogues.

     Le syndrome hallucinatoire (automatisme mental) en pathologie générale.  Le syndrome mystique.  Un cas de syndrome hallucinatoire de type mystique au cours d’une syphilis cérébrale, par M. G. de Morsier, de Genève. – Le syndrome hallucinatoire de l’automatisme mental considéré comme typique a été rencontré dans des cas d’étiologie manifestement organique, tels que:  fièvre typhoïde, encéphalite psychosique, anémie aiguë, ostéite fibreuse avec hypercalcémie réductible après thyroïdectomie, hypertension intra-cranienne, traumatisme cranien, etc…  Une très belle observation de syndrome mystique est une excellente occasion pour l’auteur de critiquer les quatre tendances psychogènes admises depuis Leuba par le plus grande nombre des auteurs à la base du syndrome mystique.

     Des hallucinations « in statu nascendi », par M. M. Boss, de Zurich. – Curieux cas d’hallucinations du type schizophrénique, apparues en même temps que des pulsions agressives, au cours du traitement psychanalytique d’une névrose.  L’auteur y voit le dernier retranchement où se réfugient, après d’autres manifestations névrotiques, les résistances du malade.  Ce cas s’est terminé, grâce à la poursuite du traitement, par la guérison.

     De quelques caractères cliniques des hallucinations auditives verbales, par M. F. Morel, de Genève. – Toute hallucination auditive verbale nécessite la mise en jeu d’un processus d’idéation dans la forme phonétique exacte que lui donnent les appareils ou une partie des appareils de la parole du malade.

     Telle est la loi que l’auteur pose, loi capitale en effet si l’on songe à ce qu’elle implique dans le mécanisme du phénomène.  L’auteur écarte pour son étude toute appréciation des caractères proprement sonores de l’hallucination auditive verbale (intensité, timbre, localisation), qu’il faut avec lui reconnaître pour incommensurables et incoordonnables, tant pour le malade que pour l’observateur.  Sa loi se dégage d’une recherche, d’autant plus saisissante dans sa précision qu’elle est purement clinique, des conditions d’apparition du phénomène.  L’auteur formule ainsi un certain nombre de faits d’expérience, d’une analyse extrêmement fine, sur les rapports qui se manifestent entre la vitesse du débit hallucinatoire, le nombre des voix discernées, leurs particularités et troubles phonétiques d’une part, et les mêmes qualités et troubles du langage intérieur ou parlé du malade d’autre part.  La disparition de l’écho quand le malade parle à haute voix, l’irréductibilité des phénomènes par les manoeuvres portant sur le conduit auditif, leur réductibilité par les deux manoeuvres:  ne pas penser, ne pas respirer, ne sont pas parmi les moindres acquisitions de cette très neuve étude.  Pleine de remarques suggestives (on écoute bouche bée, on ne lit pas bouche bée), elle jette une lumière qui restera acquise sur la nature de l’ »écho mental » dans ses diverses formes. Constatons qu’elle concourt à reléguer les théories qui l’imaginent comme un écho cérébral centripète.

     Les hallucinations au cours du processus de guérison dans les schizophrénies, par M. C.-G. Tauber, de Berne. – Au cours de tels cas dont il faut admettre la réalité, tout en gardant au terme de guérison sa valeur relative, l’analyse révèle une certaine régularité dans les phases observées (Max Müller, Mayer-Gross:  « Les développements typiques », typische Verläufe).  Pour les hallucinations on peut observer:

     1o  leur cessation spontanée;

     2o  leur persistance avec disparition de la réaction du malade;

     3o  la progressive transformation de leur valeur affective, par exemple, en influences secourables.

     Ce troisième cas semble le plus propice à la psychothérapie qui ne doit pas hésiter alors à agir pathoplastiquement, c’est-à-dire à user des convictions favorables du délire du malade, prémisses habituelles d’une guérison.

     Des hallucinations schizophréniques, par M. J. Wyrsch, de Saint-Urban. – L’auteur en distingue deux types essentiels:  les hallucinations physiogènes, primaires, authentiques, appelées aussi pseudo-perceptions; les hallucinations psychogènes, secondaires, appelées aussi pseudo-hallucinations.  Les premières se rencontrent dans les états aigus et le sujet a vis-à-vis d’elles une attitude objective, semblabe à celle de l’individu normal vis-à-vis de ses perceptions, attitude qui comporte plus d’indifférence à leur manifestation même qu’à leur valeur significative.  Les secondes se rencontrent dans les états de schizophrénie chronique par où l’auteur désigne les états paranoïdes, et le malade vis-à-vis d’elles une attitude subjective; il les ressent comme beaucoup plus semblables à des « inspirations », ayant par conséquent un caractère intra-individuel net.  Cette différence tient peut-être à la structure psychique (In-der-Welt-Scin) propre au paranoïde et se réduirait alors à celle de deux phénomènes différents du même symptôme.

     L’auteur enfin signale des cas d’hallucinose chronique.  Cette communication relève du point de vue phénoménologique, familier à l’école allemande et trop négligé chez nous.

     Hallucinations et énergie psychique, par M. de Jonge, de Prangins. – Cette communication dont le temps nous a malheureusement empêché d’entendre plus que les prémisses, nous livre des réflexions profondes sur les fonctions de la quanité et de la qualité dans les phénomènes psychiques.

     L’hallucination et le réel, par M. de Montet, de Vevey. – Communication où le relativisme nouménal le plus radical est introduit dans la considération des phénomènes psychopathologiques eux-mêmes.  La qualité pour l’auteur s’en montre toujours insaisissable à la mesure d’aucune réalité ontologique.  Pour ces phénomènes comme pour tous les autres, rien ne possède de signification sinon par rapport à autre chose.  Les discriminations sagaces, mais impuissantes, de nos théories ne sont que le reflet de cette relativité entre un nombre infini de singularités.  Il semble que le problème qu’on agit ici ne soit pas un problème d’ordre médical, c’est le problème de la vérité.

     Le docteur Jung qui illusre ce Congrès de sa présence, cède à la sympathique insistance du président et apporte son point de vue sur l’hallucination.  Il est tiré de l’histoire de la prophétie et des observations qu’il a faites lui-même chez les primitifs africains, medicine-men pour la plupart, qu’il a fréquentés et observés.  Les hallucinations qu’ils ressentent et qu’ils utilisent ne sont qu’une forme spéciale de cette fonction qu’exprime le mot d’intuition, d’inspiration ou pour être plus exact, ce qu’il y a d’intraduisible dans le mot allemand d’Einfall employé par le docteur Jung lui-même.  Toutes les transitions existent entre les formes à nous familières et celles proprement hallucinatoires de cette fonction qui est de nature subliminale.  Le niveau culture individuel et ambiant influence l’usage, l’interprétation, l’apparition même du phénomène.

     La discussion est alors reprise.  On doit déplorer l’abandon par le professeur Claparède d’une intervention très attendue.  Le professeur Vermeylen approuvant dans l’ensemble les positions des rapporteurs, nous apporte des aperçus sur le rôle de l’activité psychique dans la perception normale, bien mis en évidence par les travaux de la Gestalt-psychologie.  Il esquisse en un tableau, illustré d’observations personnelles et très remarqué, les phases évolutives de la constitution du réel chez l’enfant.

     Le professeur Maier et le docteur Flournoy déclarent n’avoir rien à ajouter sur les positions prises par les interpellateurs.

     Le docteur Ey répond à certains d’entre eux.  C’est pour souligner combien les faits apportés par le professeur van Bogaërt lui paraissent favorables aux distinctions cliniques qu’il soutient.  Les phosphènes, acouphènes, algies, paresthésies de toute sorte, lui paraissent rentrer de plein droit dans l’hallucinose.  Il insiste sur ce que les faits apportés par le professeur Lhermitte lui semblent rentrer dans le cadre des hallucinations liées à des états oniriques et psycholeptiques, et non dans les hallucinoses.  Malgré son accord avec le docteur F. Morel sur le mécanisme fonctionnel que révèle pour les hallucinations auditives verbales sa très fine analyse, H. Ey croit devoir jeter un doute sur la légitimité d’une trop grande précision descriptive en pareille matière.  Derrière l’incontestable évidence des faits apportés par M. de Morsier, Ey cherche une fois de plus querelle à ce qu’il appelle l’esprit de l’automatisme mental:  c’est une querelle courtoise.  Il conclut en répondant au professeur Lhermitte qu’il ne s’agit pas d’opposer les méthodes de la neurologi et de la psychiatrie dans leur usage par l’observateur qui doit au contraire les employer concurremment, mais à délimiter leur domaine dans les faits.

     Nous tenons à remercier en terminant nos collègues de la Société Suisse de psychiatrie pour leur hospitalité confraternelle, qui n’est pas moins large, et c’est tout dire, que leur hospitalité scientifique.

 

[1]  Les trois rapports doivent paraître in extenso dans les Archives Suisses de Neurologie et de Psychiatrie.

[2]  Cf. Lhermitte:  Encéphale, 1932, no 5.

[3]  Cf. Delbeke et van Bogaërt:  Encéphale, déc. 1928 (Obs. I et III), L. van Bogaërt.