Alcoolisme subaigu à pouls normal ou ralenti. Co-existence du syndrome d’automatisme mental

avril 25, 2021 0 Par Karim Richard Jbeili

Textes du jeune Lacan

         Alcoolisme subaigu à pouls normal ou ralenti.
 
         Co-existence du syndrome d’automatisme mental

 

 

                    MM. G. Heuyer et Lacan

 

    Société Médico-Pédagogique, Séance du 27 novembre 1933

     Les auteurs des premières descriptions du délire subaigu al­coolique ont noté les variétés multiples des formes.  Lasègue, qui a décrit le délire des persécutions (Archives générales de médeci­ne, 1858) et le délire subaigu alcoolique (Archives générales de médecine, 1868-69), a accumulé les oppositions séméiologiques entre ces deux entités morbides nouvelles, dont il a doté la psychiatrie.  Il considère les cas où la clinique montre un mélange des traits caractéristiques de chacune des formes comme des faits d’associa­tion morbide, où la suspension du toxique fait facilement retrouver le délire de persécution permanent et pur.  Toutefois, dans les ob­servations qu’il rapporte de délire alcoolique subaigu, on s’aper­çoit que, dans certaines d’entre elles[1]

     Ces cas de délire subaigu participent aux caractères même que Lasègue a assignés au « délire des persécutions ».

     Magnan a repris, dans les mêmes termes que Lasègue, l’op­position des 2 termes cliniques.  Dans son mémoire sur l’alcoolisme pour le prix Civrieux, en 1872, il précise les caractères propres aux hallucinations du délire subaigu.  Il les définit comme péni­bles, comme mobiles, comme ayant pour objet les occupations ordi­naires et les préoccupations dominantes du malade; il analyse leur grande variété sensorielle; mais il insiste peu sur les hallucina­tions auditives qui seraient, selon lui, des sensations acoustiques simples avant de devenir des hallucinations verbales.  A l’aide d’une phrase de Lasègue lui-même, il oppose la mobilité de ce dé­lire à la stéréotypie du délire chronique.  Mais le classement évolutif qu’il fait des délires subaigus l’amène à grouper « cer­tains malades prédisposés, atteints de délire alcoolique, à rechu­tes fréquentes, et à convalescence souvent entravée par des idées délirantes, affectant plus ou moins la forme du délire partiel ».  Les cas qu’il cite se distinguent par la prédominance des halluci­nations auditives verbales et des interprétations délirantes, au sens moderne de ce terme.

     Nous insistons sur ces points d’histoire pour montrer comment, dès le début, s’est posée la question du terrain pour l’éclosion de certaines formes spéciales du délire subaigu toxique.

     Nous ne ferons pas l’histoire des recherches nombreuses que cette question a suscitées.  Il s’agit surtout d’études physiolo­giques tendant à préciser le terrain neuro-végétatif.  Nous ne vou­lons apporter ici que l’appoint d’un simple fait clinique.  Sa cons­tatation nous a été facilitée par la précision qu’a apportée, dans la recherche des hallucinations auditives verbales, le syn­drome dit d’automatisme mental.  C’est la recherche méthodique des divers éléments de ce syndrome qui nous a permis d’isoler un groupe de cas qui répond à une individualité pressentie et indiquée par Lasègue et par Magnan, et dont nous verrons les caractères.  Dans certaines observations d’alcoolisme subaigu, nous avons trouvé un pouls normal ou ralenti, dont la corrélation clinique avec certains éléments du syndrome d’automatisme mental, nous paraît tout à fait importante comme valeur pronostique et comme signification pathogé­nique.  Dans les descriptions qui sont faites de l’alcoolisme sub­aigu, ou délirium tremens, il est classique de décrire l’accéléra­tion du pouls; ce symptôme, plus même que le tremblement, est un élément important du pronostic vital.  Or, dans un certain nombre d’observations que l’un de nous a pu faire depuis plusieurs années, à l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police, certains alcoo­liques subaigus présentaient un pouls normal, ou ralenti, en même temps qu’existaient des hallucinations auditives, et quelquefois, un syndrome complet d’automatisme mental, avec un minimum d’hallu­ci­nations visuelles.  Nous rapporterons d’abord nos observations qui permettront de mettre en évidence les faits cliniques essen­tiels.

     Nous avons classé nos observations en 3 groupes.  Dans un premier groupe, il s’agit de formes subaiguës réelles qui se ter­minent par la guérison.  Dans un deuxième groupe, il s’agit de ma­lades qui ont évolué ultérieurement vers un délire chronique de per­sécution.  Enfin, dans un troisième groupe, l’alcoolisme a donné seulement une teinte nouvelle à un déséquilibre qui existait déjà antérieurement.

                               I

     OBSERVATION I. – K. Maurice, 40 ans, interné par l’un de nous le 4 février 1932, avec le certificat suivant:

     « Infirmerie spéciale 4 février 1932.

     Alcoolisme chronique.  Idées délirantes de persécution.  Hal­lu­­ci­nations auditives très actives.  Entend des voix à travers les murs.  Injures, menaces, propositions obscènes.  Echo des actes et des lectures.  Interprétations:  a été intoxiqué par la cocaïne.  Moyen érotique employé pour l’intoxiquer.  Bande d’ennemis qu’il connaît et qui, par l’intermédiaire de `Ripa’, veut le faire dispa­raître.  Pas de confusion.  Pas d’onirisme visuel.  Est allé se plaindre spontanément au commissariat de police.  Peau chaude et moite.  Tremblement digital et lingual.  Tendance au myosis.  Pouls 72.  Aveu d’excès de boisson (3 litres, de plus, apéritifs et cafés arrosés).  Obésité.  Début il y a 3 semaines.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     « Immédiat, Asile de Villejuif, 7 février 1932:

     Alcoolisme chronique.  Episode subaigu récent.  Corrige actuellement son délire et en reconnaît l’origine.  A maintenir provisoirement.

                                  Signé:  Dr Maurice Ducosté. »

     Quelques jours après son entrée à l’asile de Villejuif, l’un de nous l’examine, avec l’autorisation du Dr Ducosté.  Il se trouve en présence d’un sujet un peu obèse, qui répond avec précision aux questions et qui paraît avoir réduit en partie ses croyances déli­rantes.

     Toutefois, on remarque une certaine mimique anxieuse, des formules de perplexité, des modifications du ton de la voix quand il parle de son délire récent.

     Il était entré, dit-il, le 31 janvier 1932 à l’hôpital Tenon et n’a pu y rester que 4 jours à cause de son agitation.

     Depuis une dizaine de jours, il entendait des voix.  Elles lui disaient:  « Tu vas mourir, dégueulasse », et puis:  « des saloperies, des cochonneries:  Enc…! ».  « Je me faisais dans l’idée qu’ils voulaient me tuer. »

     Il y a un dialogue entre les voix hostiles et d’autres vois favorables:  « Tu vas mourir syphilitique dans un hôpital. »  A quoi, d’autres voix répondent:  « Viens avec nous:  c’est malheureux de te laisser mourir comme ça.  T’auras de l’argent. »  Des voix hostiles elles-mêmes reconnaissent l’injustice de son sort:  « T’as été cou­ra­geux et travailleur, c’est malheureux, mais tu mourras. »  D’au­tres fois, elles se font tentatrices:  « Rentre dans notre société.  On te donnera 6.000 fr. »

     L’élément d’imminence anxieuse propre au toxique alcoolique apparaît dans le contenu des propos qui marquent les délais proches de la menace:  « Tu seras mort demain matin…, à 9 heures, je te tuerai. »

     Ces voix étaient chuchotés.  Il reconnaissait néanmoins ses interlocuteurs, deux de ses voisins, Trub…, avec qui il avait bu « quelques petites chopines » et Bout…   Pour les propos encoura­geants et les marques de compassion, c’était « la femme à Trub… » qui s’en chargeait.

     Les phénomènes subtils de l’automatisme mental ne manquaient point au syndrome.  Pensait-il à sa femme?  « Il pense à sa femme », disaient les voix.  A sa fille?  « Il pense à sa fille. »  De même, ses actes étaient commentés.  Prenait-il une attitude indifférente à l’égard des importuns, il entendait dire:  « Il est malin, il lit son journal. »  Ce journal, derrière lequel il se réfugiait, « on le lisait tout haut en même temps que lui à l’hôpital ».

     A noter la perception de mauvaises odeurs sans véritable con­viction délirante.  Par contre, les vertiges, les fléchissements qu’il éprouve lui avaient fait croire qu’il était empoisonné:  « Il m’était venu dans l’idée que c’était de la cocaïne. »

     Il y avait une étroite intrication de ces phénomènes halluci­na­toires avec les interprétations.  S’il a imputé une grande partie de ces phénomènes à ses voisins de lit à l’hôpital, en raison même de ce voisinage (« Ils faisaient semblant comme un bruit de revol­ver »), il a bien compris le sens symbolique de certaines de leurs attitudes:  « Ils m’ont fait comprendre que c’était une bande de mauvaises gens. ».

     L’insomnie existait depuis plusieurs mois, de même les cauche­mars se rapportant à « son travail ou à quelque chose qui n’allait pas ».  Il ressentait des secousses, des crampes.

     Tourneur-robinetier, le sujet s’était livré à l’alcoolisme depuis la mort de sa femme survenue un peu moins d’un mois au­pa­ravant.  Trois litres de « piccolo » par jour, corsé d’innombrables « apéros » le soir (Byrrh, Turin et Mandarin), formèrent dès lors son régime.

     Antécédents. – Sa femme est morte de tuberculose.  Un enfant est mort à 4 jours, il y a une fille bien portante.

     Il a eu un ictère en 1918 et la grippe en 1932.

     Actuellement, il a le ventre un peu gros, un gros foie, un peu de tremblement.  Ses pupilles sont inégales, D. > G.; réagissent bien à la lumière.  Le pouls est à 80.  Il est bien orienté.

     Il sort de l’asile le 3 mars 1933 considéré comme guéri.  Il n’a plus été observé depuis.

     OBSERVATION II. – Voici une autre observation, peut-être moins typique, dans laquelle le syndrome a une évolution plus lente, a constitué un épisode isolé, sans récidive, et se terminant par la guérison.

     N. Henri, chauffeur, 36 ans.  Interné par l’un de nous le 14 juin 1931:

     « Alcoolisme chronique, accidents subaigus, état confusionnel.  Amnésie.  Désorientation.  Obtusion.  Onirisme.  Poursuite par 3 individus, deux hommes et une femme, qui le surveillaient par un trou du plafond, ils sont armés et le menacent.  Hallucinations auditives.  Exposé calme des faits.  Peu d’éléments visuels.  De­man­de spontanée de protection aux agents.  Congestion céphalique.  Tremblement lingual et digital.  Pouls 64.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     L’un de nous le voit à Sainte-Anne et se trouve en présence d’un sujet qui n’est plus désorienté, mais qui reste marqué d’une nette obtusion intellectuelle.  Le type du délire est onirique, avec raptus de fuite, qui est l’origine d’une suite de migrations domicilaires.  Mais il est néanmoins très précis sur les halluci­nations auditives, il les interprète.  « On voulait le faire quitter sa chambre pour la louer à un prix supérieur. »

     L’éthylisme est ancien et s’est trouvé renforcé par un chômage récent.

     Le sujet écrit au Préfet de police pour protester contre son internement.  La réduction des hallucinations auditives a été rapi­de, mais en septembre de la même année, nous constatons la persis­tance de la conviction délirante, dirigée contre la patronne de son hôtel.  Un an après son internement, l’un de nous le revoit à Vil­le-Evrard.  La conviction délirante est réduite.  Le malade tra­vaille et est bien noté.  Il est bien orienté, mais il conserve une certaine bradypsychie.  Il a encore un teint subictérique et un trem­blement digital et lingual.  Son pouls est à 56.

     Il sort en juillet de cette seconde année d’internement et recouvre 6 mois après son permis de conduire.

     OBSERVATION III. – F. Gelino, 31 ans, interné le 14 mars 1932, pour:

     « Alcoolisme chronique.  Légère confusion.  Orientation impar­faite.  Automatisme mental.  Hallucinations auditives.  Voix de dessous de l’étage.  Prise et écho de la pensée et des actes.  Hal­lucinations psychomotrices. Pensées étrangères. Troubles cénes­thé­siques.  Secousses « névrosthéniques ».  Minimum d’interpréta­tions.  Un jeune homme de ses amis paraît en être cause. Pas de système de persécution.  Anxiété.  Crainte d’être guillotiné.  Marche automa­ti­que, pieds nus, au milieu de la rue.  Aveu d’excès de boisson (vin, apéritifs, marc).  Tremblement digital et lingual.  Cauche­mars zoopsiques.  Pouls:  72. »

     Transféré en Italie.

     Notons, à la limite de ces délires subaigus, où l’automatisme mental existe au moins sous la forme d’hallucinations auditives, des délires à prédominance interprétative qui sont eux-mêmes corré­latifs d’un pouls ralenti.

     OBSERVATION IV. – P. Dim., journalier, 40 ans, interné le 13 juin 1931, avec le certificat suivant:

     « Idées délirantes de persécution.  Interprétations morbides.  Depuis trois ans, il est suivi par la police.  On prévient partout de son passage.  Quand il veut travailler, son patron est prévenu.  Probabilité d’hallucinations auditives.  Entend des voix avec inju­res, allusions.  Onirisme probable.  Poursuite par des individus dans la rue.  Les voit aiguiser leurs couteaux.  Cauchemars.  Rêves de prémonition.  Arrêté pour avoir jeté une pierre dans la devan­ture du journal `Le Matin’.  Alcoolisme chronique.  Visage vul­tueux.  Tremblement digital et lingual.  Légère confusion.  Pouls:  64.  Syphilis.  Chancre en 1919.  Quelques injections intraveineu­ses.

     Pas de signes neurologiques.

     Début de leucoplasie commissurale.

     Ancien légionnaire.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     Maintenu pour persistance des idées de persécution depuis un an.  Se dit poursuivi par la police et accusé d’espionnage.  Aurait déjà été interné à Marseille il y a 3 ans.

                              II

     Nous allons rapporter maintenant des observation où la ques­tion de terrain est posée, soit par la note spéciale des réactions, soit par les récidives du délire, soit par son évolution vers la chronicité.  Dans cette série d’observations, il y a encore coexis­ten­ce d’hallucinations auditives verbales et d’un pouls lent, mais divers éléments permettent de faire entrer en ligne de compte la notion d’un terrain particulier.

     Nous rapporterons d’abord des observations que caractérise une note mélancolique avec idées d’auto-accusation et fréquemment une réaction suicide.

     Les récidives de l’intoxication y sont fréquentes et se reproduisent avec la même note dépressive.  L’hérédité y aparaît souvent chargée et les passages à la chronicité s’y rencontrent.

     OBSERVATION V. – B. Pierre-François se présente le 7 janvier 1931 au commissariat de police de sa commune et s’y accuse d’avoir commis une dizaine de viols et d’attentats à la pudeur.  Il est envoyé à l’Infirmerie.  Il est interné par l’un de nous avec le certificat suivant:

     « B. Pierre-François, 24 ans, plombier-couvreur.

     Alcoolisme chronique.  Accidents subaigus.  Etat confusionnel léger.  Troubles de la mémoire.  Poursuivi par une bande de romani­chels qui pénètrent chez lui, l’attendent à la porte, tirent des coups de revolver; l’ont emporté dans leur roulotte, lui ont piqué le visage.  Chez lui, ils ont placé un voile sur un mur, espèce d’écran sur lequel défilaient des hommes et des femmes.  Hallucina­tions visuelles colorées:  vêtements bleus, verts, jaunes.  Hallu­ci­na­tions auditives.  T. S. F. Injures.  Accusations d’avoir violé des filles, d’en avoir rendu quelques-unes enceintes.  Réaction dépressive.  S’est présenté spontanément au commissariat en s’ac­cusant de viols et d’attentats à la pudeur.  Intention suicide.  Lettres à ses parents.  Actuellement, narration d’une tentative de suicide inexistante, production onirique.  Visage vultueux.  Trem­blement digital et lingual.  Pouls:  76.  Hérédité alcoolique:  pè­re mort à 52 ans de délirium trémens.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     Admis à Sainte-Anne avec le certificat suivant:

     « Est atteint d’alcoolisme avec accidents subaigus.  Halluci­nations multiples et pénibles.  Frayeurs et tendances au suicide.  Insomnies, étourdissements et tremblement des mains.

                                           Signé:  Dr. Simon. »

     Il est signalé dans le service comme halluciné et persécuté.  Le certificat de quinzaine du 22 janvier 1931 signale la décrois­sance des accidents subaigus.  Le certificat de sortie du 31 mars 1931 déclare le malade « actuellement calme, ne paraît plus présen­ter de délire, travaille régulièrement et peut être rendu à sa mère qui le réclame ».

     Il est de nouveau interné d’office le 18 février 1932 avec le certificat suivant:

     « Dégénérescence.  Alcoolisme.  Troubles prédominants de l’hu­meur et du comportement.  Ivresses subintrantes.  Obtusion morale.  Négations cyniques.  Violences sur sa mère infirme (contusions multiples récentes).  Paresse morbide.  Instabilité.  Tyrannisme familial.  Sujet pour asiles spéciaux.  Père mort éthylique.  Mère débile.

                                   Signé:  Dr De Clérambault. »

     Le sujet, que l’un de nous examine le 3 avril 1932, est un débile mental; plombier-couvreur, amputé de la jambe gauche à la suite d’un accident, il était en chômage depuis sa dernière sortie de l’asile.  Employé comme cantonnier dans sa commune, « on lui offrait des verres ».  Sa mère, trépanée à la suite d’un accident d’automobile, devenue infirme sans indemnité, irritable, se que­rellait fréquemment avec lui.  Le sujet avoue les violences auxquelles ils s’est laissé aller dans ces disputes.

     Emotivité.  Instabilité du pouls.  Tremblement.  Réduction actuelle des convictions délirantes.  Maintenu néanmoins en raison de la situation familiale particulière.  Foie légèrement débordant.

     Lors de son premier passage à Sainte-Anne, il remarquait que tout le monde lui en voulait.  On le narguait.  Les phénomènes d’au­tomatisme mental ont complètement disparu.

     OBSERVATION VI. – M. Pierre, 41 ans, interné le 21 novembre 1931 avec le certificat suivant:

     « Alcoolisme chronique.  Idées délirantes de persécution.  Est victime de ses voisins qui veulent troubler son ménage.  Automatis­me mental.  Hallucinations auditives.  Injures à lui-même et à sa femme.  Commentaires des actes.  Prise de la pensée.  Sentiment d’étrangeté, de perplexité.  Imprécision des idées délirantes.  Obnubilation.  Désordre des actes.  Fugues.  Tentative de suicide collectif (a ouvert le robinet à gaz de son logement).  Aveu d’ex­cès de boisson.  Tremblement digital et lingual.  Pouls:  64.

                                          Signé:  Dr. Heuyer. »

     Le certificat immédiat à Sainte-Anne insiste sur « un léger état de confusion mentale avec idées de persécution.  Interprétations, tendances mélancoliques.  Habitudes de boisson.

                                            Signé:  Dr Simon. »

     Le sujet est maintenu à Vaucluse pour son état de dépression, avec idés de persécution, réticences, etc…

     OBSERVATION VII. – T. Antoinette, femme R., 37 ans, internée le 20 mars 1931 avec le certificat suivant:

     « Automatisme mental à début récent et brusque.  Hallucinations auditives.  Tous les objets parlent autour d’elle:  les pendules, le poêle, un moteur, l’eau même. Injures des gens `à leur croisée’.  Echo de la pensée.  Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, elle l’entend `de partout’.  On parle surtout de son passé un peu char­gé.  A été en carte.  A fait de la prostitution.  On lui dit:  `Tu retourneras chez le bougnat’, où elle était `employée’.  Un peu de confusion.  Désorientation.  Réactions dépressives et anxieuses.  Est allée spontanément se plaindre au commissariat de police.  Ten­tatives de suicide à l’Infirmerie.  Ton plaintif.  Aucune sys­téma­tisation.  Fond de débilité mentale.  Obésité.  Aspect dysendocri­nien.  Alcoolisme chronique.  Vin et surtout alcool de menthe.  Tremblement digital et lingual.  Pouls:  72.  Début des troubles psychiques il y a 4 jours. »

     La malade est allée se plaindre spontanément au commissariat de police où elle a déclaré que « la maison était hantée » et quelle-même était « aimantée », que « l’eau de sa lessive était électrisée », que « des mots s’inscrivaient sur sa planche à laver ».  « Tout le monde dans la rue dit qu’elle fait le trottoir. »  « Dans la maison, personne ne lui dit rien, mais lorsqu’elle est seule, elle entend bien les gens qui chuchotent. ».  Elle annonce alors sa tentative de suicide.

     A l’entrée à Sainte-Anne, on note « un état mélancolique avec hallucinations pénibles et terreurs, réveil en sursaut et en sueur.  Tentative récente de suicide:  aurait avalé des épingles à cheveux et de nourrice.  Léger tremblement des mains.  Alcoolisme probable.  Fièvre à 38o« .

     Elle est revue par l’un de nous.

     On note son obésité, son aspect empâté, dysendocrinien.  Se dit bien réglée:  a toujours été une grosse fille, dit-elle, depuis son enfance.

     « Toute ma lessive me disait:  tu retourneras chez le bougnat (bis); ils t’attendent, les poulets. »

     Les pendules disaient:  « Tu retourneras rue Boulay, tu y re­tourneras rue Gessen. »  Il s’agit là d’un « bastringue » où elle a « travaillé » avant son mariage et ou elle a eu des difficultés avec la patronne.  « On lui en voulait parce qu’elle n’allait pas avec les clients qui ne lui plaisaient pas. »

     « Tout cela, Monsieur, a commencé tout d’un coup, un matin que je faisais mon ménage, par une machine, une espèce de moteur qui é­tait en dessous ou à côté, un moteur qui parlait, qui disait:  tu es une putain, tu retourneras te saoûler la gueule. »

     « Tout le monde l’a dit, demandez à tout le monde, tout le mon­de dit que j’était une putain, que je faisais le trottoir. »

     Toutes ces déclarations sont entrecoupées de diversions, de plaintes, dont il est difficile de rompre la chaîne pour lui faire répondre à des questions précises sur les phénomènes ressentis.

     Les hallucinations verbales paraissent être éprouvées le plus souvent sur la base d’un bruit rythmique d’origine extérieur et réelle.  « Le poêle aussi parle. »  « Elle n’a jamais réussi à arrêter son réveil sur le fait. »  « L’eau parle aussi; le dernier jour, les chaises, tout ce que je remuais, parlait.  Tout le monde dehors répétait:  `C’est elle, c’est elle.' »  « Les gens à leur croisée disaient:  `Elle se fait enc…, je vous le prouverai. »

     Il y avait peu de phénomènes subtils, peu d’action sur la pensée, pas non plus de mauvaises odeurs, de mauvais goût, ni de gaz.  Elle n’est pas violée, mais elle ressent des « secousses électriques, la nuit, dans le lit, et aussi le jour ».

     Trois jours après, elle renouvelle ses déclarations.  Quelques interprétations s’y ajoutent:  « Tout mon passé est éclaboussé, partout; dans tout Paris, tout le monde me regarde et en parle. »

     A cette dae, on fixe beaucoup plus son attention sur des questions précises, même dans la recherche des tests mentaux que nous pratiquons.  Elle répond bien aux tests de jugement élémentai­re, est un peu moins brillante dans les épreuves d’abstraction; elle n’a d’ailleurs reçu qu’une instruction des plus rudimentaires.  Elle reconnaît les questions absurdes, elle répète correctement cinq chiffres à rebours.  Elle est pourtant légèrement désorientée dans le temps.  Son pouls est à 72.  Elle a un tremblement léger des doigts, de la moiteur.  Les réflexes tendineux sont normaux.  Les pupilles légèrement inégales réagissent.

     L’alcoolisme ancien, qui date du temps où elle était chez « le bougnat » avant son mariage, est avoué.

     L’alcoolisme actuel sous sa forme si particulière (menthisme) est reconnu même par le mari qui veut la reprendre.  Le début très brusque des troubles est confirmé par l’entourage.

     Un an après, la malade, internée à la Maison-Blanche, est cer­tifiée être atteinte de débilité mentale.  Syndrome halluci­natoire sans système délirant.  Sédation.  Calme habituel.  Inertie et bais­se affective.  Sous la condition d’une surveillance constante, la sortie peut être tentée ».

     On insiste sur l’affaiblissement affectif et la persistance du délire.

     Une autre série de faits extrêmement intéressante nous semble constituée par les cas où, après un ou plusieurs accès de délire subaigu alcoolique auxquels la prédominance des hallucinations verbales et le pouls normal ou ralenti ont donné leur caractère constant, on voit se fixer un délire à base d’automatisme mental.  Nous croyons voir dans cette corrélation clinique un élément pro­nos­tic important et apporter une précision dans la pathogénie controversée de ce que Rogues de Fursac a isolé sous le nom de « délire systématisé alcoolique ».  En voici un très bel exemple:

     OBSERVATION VIII. – L. Louis, peintre, 50 ans.

     Est interné une première fois en décembre 1930 après avoir présenté, dans un hôpital parisien, des troubles caractérisés par « des hallucinations visuelles (zoopsies) et auditives, une amnésie considérable, avec fabulation discrète et des troubles de la recon­naissance ».  (Certificat du Dr Trocmé).

     Les certificats immédiats et de quinzaine des psychiatres qui l’ont vu alors insistent sur des scènes oniriques variées avec « zoopsie; hallucinations lilliputiennes.  Meurtre de sa famille », sur les signes manifestes d’imprégnation alcoolique et surtout sur l’élément auditif des hallucinations.

     Le malade sort guéri de l’asile de Villejuif le 20 février de l’année suivante.

     En juin 1931, soit un an et demi après son internement, il se présente lui-même au commissariat, disant qu’on n’a pas cessé de lui faire de l’électricité depuis son premier séjour à l’hôpital.  Cette démarche a été précédée d’une lettre au médecin-chef de l’hô­pital où il se plaint de souffrir depuis son premier séjour d’un « tourniquet dans la tête, de l’électricité qu’on lui envoie dans les côtes, on lui fait du tremblement dans les mains ».  Il écrit:  « Lésé moi donc, vous allez me faire perdre mon travaille; ausitôt se mte à rire et recomance; j’ai pris des témoins; ses Citroën dont je suis partie rapport à l’électricité qu’il me faisait sur les bras. »

     Le tremblement est en pleine évidence dans l’écriture.  L’un de nous examine le sujet à l’Infirmerie et reconnaît sous l’alcoo­lisme chronique, un

     « Automatisme mental et idées délirantes de persécution.  Hal­lu­cinations auditives.  Injures et menaces.  `il faut le rendre fou.’  Hallucinations olfactives (odeurs fécales).  Prise et écho de la pensée. Enoncé des actes et répétition des paroles.  Troubles cénesthésiques.  Electricité sur le corps, picotements et brûlures.  Quelques éléments visuels.  Pauvreté des interprétations.  Trois hommes, peut-être infirmiers à l’hôpital Bichat, veulent se venger de lui.  On veut rendre aussi sa femme folle.

     Alcoolisme avéré et avoué.  Tremblement digital et lingual.  Hyperalgésie musculaire.  Pouls:  80.

     Un internement antérieur.  Persistance, après la sortie, des éléments hallucinatoires auditifs et des troubles cénesthésiques après disparition de la confusion et de l’état onirique.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     Le dernier certificat de situation relate depuis un an la persistance de la « psychose hallucinatoire développée sur un fond d’alcolisme chronique ».

     OBSERVATION IX. – B. Antoine, 63 ans.

     Observé il y a 8 ans à l’hôpital Henri-Rousselle, présente a­lors un alcoolisme chronique invétéré depuis 20 ans, avec des idées de persécution qui sont notées comme assez particulières.  Il se dé­clare « suivi par son beau-frère depuis Lyon d’où il serait revenu à Paris à pied ».  « C’est, dit-il, pour une question d’héritage…, on est derrière moi tout le temps…, il me fait des reproches…  Je sens son ombre derrière moi…  J’ai voulu le frapper et je l’ai menacé. »

     L’attitude est inquiète et méfiante.  Obnubilation intellec­tuel­le.  Agitation violente et dangereuse.  Cris.  Gesticulation apeurée, etc…

     Tremblement.  Langue saburrale, B.-W. + dans le sang.

     On l’interne (c’est déjà son deuxième internement).  Puis il est libéré et, 6 ans après, en 1931, l’un de nous le voit à l’In­fir­merie spéciale et l’interne avec le certificat suivant:

     « Alcoolisme chronique à la limite de l’état subaigu.  Assez bonne orientation.  Peu de confusion.  Onirisme.  Zoopsie.  Vision de précipices.  Hallucinations auditives.  Entend sa famille qui lui fait des reproches, etc…  Pouls:  76. »

     L’automatisme mental et le sentiment de présence donne une note particulière au tableau clinique.  Tendance à la chronicité.

     Rapportons enfin:

     OBSERVATION X. – V. Maximim., âgé de 35 ans.

     Interné le 6 avril 1931 avec le certificat suivant:

     « Alcoolisme chronique.  Accidents subaigus.  Etat confusion­nel.  Dysmnésie.  Désorientation.  Obtusion.  Automatisme mental.  Hallucinations auditives très actives.  menaces de mort.  Halluci­nations psychiques:  voix dans son coeur qui sert d’intermédiaire pour les ordres qu’il reçoit et les menaces qu’on lui fait.  Prise et écho de la pensée.  Commentaire des actes.  Envoi de gaz.  Quel­ques interprétations pauvres.  Idées d’empoisonnement.  Jalousie des voisins qui veulent lui faire quitter le logement.  Pas d’hal­lucinations visuelles.  Les ennemis voient tout ce qu’il voit lui-même.  Troubles cénesthésiques.  Electricité.  Début récent des troubles psychiques, brusquement, il y a 8 jours.

     A demandé spontanément protection au commissariat de police.  Pas d’anxiété, mais refus d’aliments.  Insomnie.  Visage vultueux.  Tremblement menu, digital et lingual.  Pouls:  64.

     Antécédents de déséquilibre et de délinquance.

                                                Dr G. Heuyer. »

     Certificat immédiat:

     « Délire de persécution avec hallucinations et troubles de la sensibilité générale.  `On veut sa mort, son coeur cause et l’on sait ce qu’il pense et fait…’  Plainte au commissariat.  D’après les déclarations du malade, le début de ses troubles ne remonterait qu’à une quinzaine de jours.

                                            Signé:  Dr Simon. »

     Transféré avec le diagnostic de « délire de persécution avec troubles psychosensoriels multiples.  Début récent.  Appoint éthylique ».

                              III

     Nous voulons indiquer maintenant une catégorie de faits où le terrain psychopathique est caractérisé antérieurement à l’abcès subaigu éthylique, qui n’est qu’un épisode.  Là encore, la forme auditive verbale de l’hallucination semble liée à l’existence d’un pouls ralenti.

     OBERVATION XI. –  L. Georges, ajusteur, avait 21 ans en 1919 où il est interné sur certificat du Dr Delmas pour « idées déliran­tes et refus d’aliments ».  Notre confère signale que le malade, vers l’âge de 10 ans, avait eu des crises d’épilepsie.

     Il est examiné à l’admission par le Dr Briand, dont voici le certificat et l’observation:

     Immédiat du Dr Briand:  « Délire mélancolique, avec idées de persécution et de culpabilité.  Agitation anxieuse.  Négativisme.  Epilepsie ancienne (?).

     Le malade paraît inquiet et angoissé.  Il ne tient pas en pla­ce (refus de s’asseoir).  Crispations nerveuses de la face.  Gestes désespérés.  Ne répond que par monosyllabes, ou dit:  `C’est mal­heu­reux (bis).’  `Vous voulez avoir mes réponses pour avoir le con­traire…  J’ai fait pleurer ma mère.’  Mucitation.

     Renseignements de la mère:  père mort d’abcès au poumon, alcoolique, pas d’épilepsie (se grisait souvent).

     Mère bien portante, quatre enfants, deux vivants.

     Très neveruse durant sa grossesse.  Couche normale.  Enfant normal, pas de convulsions.  Vers 4 ou 6 ans se plaignait de maux de tête.  En classe, vers 4 ans et demi, caractère difficile.  Ap­prenait bien.  A dix ans, six semaines après une chute dans un es­calier, la nuit, crise d’épilepsie affirmée à la Salpêtrière.  Du­rant 15 mois, une crise tous les deux mois: `Maman ça va me pren­dre.’  Crise typique avec urination.  Plus rien depuis l’âge de 11 ans et demi.

     Caractère violent, depuis toujours.  Depuis un mois n’était jamais à la conversation.  Anxiété nocturne:  (à sa mère):  `Sois sans crainte, je ne te veux pas de mal.’  Puis, mutisme.  Pleurs.  Fuit devant un médium appelé par la mère.  Manifeste des idés d’in­dignité.  Dromomanie sous la pluie.  Refus d’aliments.  Surme­nage depuis quelques mois.

     Ne boit pas. »

     Transféré à Vaucluse, il y est considéré comme un délire mélancolique avec « idées de persécution et de culpabilité.  Hallu­cinations de l’ouïe.  Agitation anxieuse.  Négativisme.  Epilepsie ancienne? ».  Puis, dans la même année, paraît s’avérer comme une « démence précoce avec manifestations paranoïdes et catatoniques, écholalie, incontinence nocturne d’urine; dans les antécédents, crises comitiales ».  (Dr Roubinovitch.)

     Il sort néanmoins l’année suivante, considéré par le Dr Vurpas comme suffisamment amélioré.  Il vit en liberté durant 20 ans, peu stable dans son travail, mais gagnant sa vie, comme semblent en té­moigner les nombreux certificats de travail trouvés sur lui lors de sa dernière arrestation.  Employé en dernier lieu au centre d’avia­tion de nanterre.  Licencié pour indiscipline, il écrit au Colonel-Commandant de ce centre de nombreuses lettres de menace à caractère nettement délirant, dans lesquelles il se plaint particulièrement des « séquestreurs, tortureurs ».  Convoqué au commissariat, dit:  « Je proteste contre les rayons que l’on m’envoie, pourquoi voulez-vous empêcher mon ventre de pousser? »

     Examiné par l’un de nous 20 ans après son premier internement, il se présente comme suit:

     « Alcoolisme chronique.  Etat confusionnel.  Obtusion.  Déso­rientation.  Idées de persécution.  Depuis 3 ans, on ne veut pas le laisser travailler à Paris.  Hallucinations auditives.  On le me­nace de mort.  On veut le faire passer par un tube.  On lui envoie des rayons.  Anxiété, est condamné à mort.  Supplications.  Demande qu’on en finisse tout de suite.  Bris de carreaux à son logement.  Menace contre sa tante avec laquelle il vit.  Tremblement digital et lingual.  Hyperalgésie musculaire.  Pouls ralenti:  60.  Syphi­lis il y a 20 ans sans signe neurologique actuel.  Aurait déjà été interné.  Permis de conduire à supprimer au moins temporairement.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     OBSERVATION XII. – M. Marius, 40 ans.  Interné le 28 mars 1929 avec le certificat suivant:

     « Débilité mentale.  Idées délirantes de grandeur et de persé­cu­tion.  Il est inspecteur de l’église parce qu’il a reçu une cra­vate blanche de son oncle, curé à Turin.  Il a la mission de `net­to­yer le personnel de l’église’.  A la suite de ses plaintes, il a fait déplacer un vicaire.  Interprétations multiples.  Il est vic­time de la jalousie de ses voisins.  Elément imaginatif mégaloma­nia­que un peu niais.  Hallucinations auditives épisodiques.  Inju­res et menaces.  Désordre des actes.  Trouble les offices par ses excentricités.  Cris.  Gesticulation.  Habitudes ecclésiastiques anciennes.  Onction.  Signes d’alcoolisme chronique.  Tremblement digital et ingual.  Pouls:  72.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     Immédiat du Dr Marie:  Signale la « débilité mentale, scandale à l’église pour protester contre l’absence du secours du vicaire vis-à-vis de ses enfants (6 enfants), l’exagération du moi ».  Le certificat de sortie du 21 avril 1929 déclare qu’il ne délire plus et que sa famille le réclame.

     Revient devant l’un de nous le 13 avril 1931.

     « Alcoolisme et débilité mentale.  Excitation psychique.  Lo­qua­cité incoercible.  Gesticulation.  Thème de persécution mal sys­tématisé.  Complôt contre sa `paternité’.  Depuis qu’il a placé ses enfants à l’Assistance publique, on l’empêche de trouver du tra­vail.  Récriminations, grandiloquence, désordre des actes.  Scanda­le à l’Ambassade d’Italie où il est allé réclamer ses enfants.  Trem­blement digital et lingual.  Pouls:  84. »

     Immédiat du Dr Simon signale:  « Hallucinations et idées de persécution et de grandeur; son cas est mondial, un complot pour l’éliminer de son droit paternel; style à part chez les ébénistes:  6 cannelures pour rappeler les 6 enfants, etc… ».

     L’un de nous l’examine à Villejuif et retrouve le grand déli­rant imaginatif, mégalomane, sur fond de débilité mentale qu’indi­quent les certificats.  On relève quelques-unes des interprétations morbides les plus saillantes, signalés dans les certificats anté­rieurs, et des hallucinations auditives verbales.  Il a entendu des voix, spécialement à l’église où elles lui disaient:  « Maquereau! feignant! sale Italien!  C’était la voix d’une dame, qui « essayait ainsi de diminuer la valeur de son prestige pour suffoquer l’amitié et la sympathie qui, dans cette église même, existaient à mon é­gard ».  Vive émotion à l’évocation de ce « style maudit qui envahit le faubourg St-Antoine, et où l’on fait 6 cannelures pour évoquer ses 6 enfants ».  Il les a placés à l’Assistance publique, mais ne veut pas néanmoins qu’on attente à ses droits de paternité.  Déve­lop­pe des idées d’empoisonnement.  Garde une attitude mixte de hau­teur abrupte et d’onction ecclésiastique.  Loquacité préten­tieuse.  A fait du scandale à Lourdes, des démarches obstinées pour recon­qué­rir ses enfants.  Autoritarisme familial.  Lettres impératives et peu cohérentes à sa femme et à ses enfants, remplies de conseils puérils prétendant régler leur conduite dans tous ses détails.

     Maintenu jusqu’à présent à l’asile.

     OBSERVATION XIII. – Voici un jeune pervers, dipsomane, qui se livre à l’intoxication dès sa sortie de la colonie pénitentiaire où on l’a placé pour de nombreux vols.

     L. D.-Germain, 21 ans, interné le 1er mars 1931:

     « Alcoolisme chronique.  Accidents subaigus.  Légère confusion.  Orientation imparfaite.  Obtusion.  Abrutissement.  Onirisme.  On le suit pour l’empoisonner.  Voit l’image de sa mère collée contre son pantalon et ne peut pas l’enlever.  Hallucinations auditives.  menaces.  Accusation d’avoir violé sa mère.  Troubles cénesthési­ques.  Electricité.  On lui tape sur l’épaule pendant la nuit.  Visage vultueux.  Tremblement digital et lingual.  Pouls:  64.  Fond de débilité mentale et de perversions.  Resté 4 ans à la colonie pénitentiaire pour vols (à Belle-Isle).  Sorti le 13 février.  Ivresses successives depuis la sortie.

                                           Signé:  Dr Heuyer. »

     Immédiat:

     « Est atteint d’alcoolisme avec hallucinations pénibles et idées de persécution:  excitation passagère, léger tremblement des mains.  Contusion à l’oeil gauche.  Sortie récente d’une colonie pénitentiaire.

                                            Signé:  Dr Simon. »

     Transféré à Evreux, a réduit, un an après, ses phénomènes délirants.  Pouls resté à 60.  Fin tremblement.  S’évade au bout d’un an encore.

     Tels sont les divers groupes d’observations que nous désirons rapporter.

     Pour nous résumer, nous croyons pouvoir fixer les points suivants:

     1o  Il existe des cas de délire alcoolique subaigu où le pouls est normal ou ralenti.  Ils se présentent sous une forme clinique que caractérisent la prédominance des hallucinations auditives ver­bales, une conviction délirante qui se rapproche de celle des déli­res chroniques, une plus grande fixité des thèmes, une moindre an­xiété pantophobique, une réduction relative des phénomènes visuels et moteurs.

     2o  Cette forme est fréquemment marquée d’une forte note mélancolique avec idées d’auto-accusation et tendances au suicide.

     3o  Elle peut guérir complètement.  Elle peut récidiver sous la même forme.  Elle peut avoir une tendance à la chronicité et mé­rite d’être recherchée à l’origine de tous les cas dits de délire chronique d’origine alcoolique.  Inversement, la corrélation d’un pouls ralenti ne prend pas une moindre valeur que l’intoxication alcoolique dans le déterminisme de certaines psychoses hallucina­toires chroniques.

     4o  Dans certains états psychopathiques évolutifs (démence pré­coce, délire polymorphe), des bouffées délirantes à prédominance d’hallucinations auditives verbales qui paraissent conditionnées par une intoxication éthylique, épisodique ou récidivante, présen­tent une remarquable corrélation avec un pouls normal ou ralenti, et trouvent probablement, dans ce phénomène, une autre de leurs conditions déterminantes.

     Nous nous abstenons actuellement de toute considération ou hypothèse pathogénique.  L’un de nous se réserve de commenter ul­térieurement ces faits et d’autres analogues qui feront l’objet de présentations.  Nous pouvons dire seulement que cette production d’hallucinations auditives et du syndrome d’automatisme mental plus ou moins au complet, en corrélation avec un pouls normal ou ralen­ti, dans l’alcoolisme subaigu, ne permet guère une explication idéogénique.

    [1]  In Etudes médicales, p. 171, obs. 25, 26, 27. – De l’alcoolisme subaigu.  Arch. gén. de méd., 1868-69.

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