Séance du 11 janvier 2008

finance-islamique
L’islam face à la finance — Investissement économique et investissement affectif — Marché de l’art et thérapie: s’investir en pure perte — De l’épicier au supermarché : proximité, distance et liberté — Repas totémique et tabou pharmaceutique



L’islam face à la finance




(…)

KJ : Aujourd’hui il y a vraiment beaucoup de pain sur la planche, je ne sais pas par quoi on pourrait commencer. Il y a l’islam et l’argent, qui est intéressant; il y a la mécanique quantique, (dont) il me semble qu’il y a des choses intéressantes à tirer; ensuite il y a  Totem et Tabou, qu’on s’était promis d’aborder… Peut-être qu’au fond, puisque ça risque d’être plus bref que les autres thèmes, on peut commencer par l’islam et  l’argent. Puis on enclenchera sur Totem et Tabou.

Alors, qu’est-ce que nous dit le bonhomme que vous avez écouté, dont j’oublie le nom? Il nous dit que l’économie typiquement islamique, ça n’a commencé à s’installer qu’il y a vingt à trente ans, et qu’avant ça, les gens n’avaient pas vraiment pensé à imaginer des procédés typiquement islamiques. Mais bon, probablement qu’avec la vague de l’islamisme, ça s’est présenté en Arabie Saoudite, et peut-être au Pakistan ou en Afghanistan... Enfin je ne sais pas trop où ça a commencé exactement, mais on va essayer de comprendre la structure de la chose.

Schématiquement, on a une entreprise ici et là on a une banque. Dans le modèle classique occidental, on a un emprunt qui se fait de la banque à l’entreprise moyennant un pourcentage d’intérêt. Une fois que l’entreprise a fait fructifier l’argent, elle le rend à la banque avec ce supplément d’intérêt. Donc en principe, la banque, au moment où elle prête l’argent, n’a pas de véritable responsabilité quant à l’usage que l’entreprise va faire de cet argent. Elle peut garder un œil dessus de loin pour bien s’assurer que cet argent ne sera pas dépensé en pure perte, mais les détails de l’opération ne la concernent pas; il y a comme une séparation entre la banque et l’entreprise, une sorte de rupture quelque part qui fait que l’un n’a pas à se mêler des affaires de l’autre. On est très familier avec ce modèle, donc on n’a pas besoin de le détailler.

Le modèle islamique quant à lui est tout neuf en dépit des apparences. Il se présente de la façon suivante. Il y a la banque, il y a l’entreprise et il y a le fournisseur de matières premières. Ce fournisseur de matières premières va donc envoyer des matières premières qui devraient être payées avec l’argent que l’entreprise a reçu de la banque. Mais dans le modèle occidental, l’argent que possède l’entreprise, elle peut en faire ce qu’elle veut; c’est un acte libre de l’entreprise que celui d’aller acheter tel ou tel ou tel matériel. Il y a un niveau de liberté important de l’entreprise. Dans le modèle islamique, le matériel fourni par le fournisseur à l’entreprise est la propriété de la banque et la demeure.

Le conférencier parlait d’une relation à trois : avec le fournisseur, la banque et l’entreprise. Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’une relation à trois ou si c’est une relation à deux un peu spéciale qui passe par le troisième qui est le fournisseur, mais bon, c’est pas ça qui nous intéresse ici. Ce qui compte, pour moi, c’est de mettre en valeur le fait que, de l’argent, il vaut mieux que ça ne se balade pas tout seul. De l’argent, il vaut mieux que ça soit collé à une marchandise donnée. Ce qui voudrait dire que l’argent est une mesure de la valeur d’une marchandise, mais ne peut pas être, en lui-même, porteur de cette valeur.

CR : L’intérêt, ça vient avec le temps, qui est une sorte d’abstraction comptable, mais pour que la banque retrouve son argent, il faut que l’entreprise lui rachète, à un plus haut prix(, les fournitures qu’elle s’est procurée avec l’argent prêté.… C’est comme ça que ce qui passerait par l’intérêt, une sorte de calcul du temps objectivé, de mesure du temps, (…) on l’attache plutôt à une marchandise à un prix plus élevé. Donc ça redevient une relation marchande plutôt que quelque chose d’usuraire…

KJ : Voilà. C’est-à-dire que la banque va encaisser le prix de la matière première (…) contenue dans le produit vendu majoré par le bénéfice de l’entreprise : le taux majoré par une part du profit, le pourcentage de part qu’elle a mis dans le produit fini. S’il y  a  40%, mettons, de matière première dans le produit fini et 60% de travail manuel, la banque va prendre 40% du bénéfice de la vente du produit fini.(…)

Michel : Moi je verrais les choses d’une toute autre façon. Il y a quand même des problèmes, c’est-à-dire que la comparaison (revient) à poser deux cas de figure en absolu alors que, dans la réalité, ceux-ci ne fonctionnent pas très bien. C’est un secteur que je connais très bien; quand je travaillais chez des consultants(…), j’ai beaucoup travaillé là-dedans. La première affaire, c’est que la comparaison (…) supposerait que ce soit deux systèmes exclusifs alors que c’est pas le cas du tout dans la réalité. Si on parle de petites banques qui fonctionnent de façon très locale, un modèle comme ça peut fonctionner. Or (…) aucune banque du monde arabe ne fonctionne comme ça. Les banques fonctionnent toutes en réseau international. Mais particulièrement les banques qui ont à faire avec le pétrole, et qui ne fonctionnent en fait ni selon des règles strictement occidentales, ni selon des règles strictement islamiques. En tous cas, je ne pense pas que ce genre d’opposition tienne vraiment la route. Deuxièmement, si on allait un peu plus loin, d’abord, en Occident, si tant est qu’on puisse parler des banques occidentales, entre chaque pays, il y a des différences considérables. Ne serait-ce qu’entre une banque canadienne et une banque américaine, il y a  des différences vraiment considérables dans la structure et dans la gestion. Les banques américaines sont les banques qui, dans une grande proportion, sont sur le marché de la spéculation. Ce ne sont pas des banques, ou alors ce sont des banques complètement à l’opposé dans banques suisses, qui sont plutôt basées sur la thésaurisation, qui font leur fric par la thésaurisation. Les banques américaines ne sont pas du tout là-dedans; ce sont des investisseurs, ce qui n’est pas le cas d’une banque suisse, sauf dans le secteur des armements (…). Bon, les banques canadiennes sont très bonnes là-dedans aussi, dans le blanchiment de l’argent, etc. Il n’est même pas question de perversion du système, c’est simplement comme ça que ça fonctionne. Alors qu’avec les banques américaines, et on le voit avec ce qui se passe depuis deux trois mois aux États-Unis, on a constamment des bulles spéculatives, qui sont créées justement parce que c’est là-dessus qu’ils font leur argent. Parce que ce sont des banques qui fonctionnent d’une certaine façon comme des bourses et qui financent les bourses, ce qui n’est pas du tout le cas des banques canadiennes. Alors (…) qu’entend-on (…) lorsqu’on fait ce genre de dichotomie? Par exemple, dans une banque comme la Banque de Hong Kong, qui est une banque occidentale d’une certaine façon, le prêt n’existe pas. Ils fonctionnent d’une façon très différente. Alors j’ai de la difficulté avec cette généralisation des banques occidentales qui fonctionneraient comme ceci, etc.

L’autre point qu’on pourrait faire là-dessus c’est que beaucoup de banques occidentales fonctionnent exactement selon ce modèle, de façon implicite. Si tu vas à la Chase Manhattan, mettons que tu t’appelle Newcore aux États-Unis. C’est une énorme compagnie d’acier : à peu près deux fois Alcan dans l’aluminium. C’est une grosse boîte. Ils empruntent de l’argent. Le critère à partir duquel ils empruntent de l’argent, c’est le fonctionnement du London Metal Exchange. C’est la bourse des métaux. L’emprunt qu’ils vont faire à la Chase Manhattan, ils vont le faire en fonction des stocks sur le marché mondial. Pour avoir l’emprunt, il y a ce critère-là; l’autre c’est qu’il va falloir qu’ils s’approvisionnent dans tel pays, à tel endroit en fonction de la série des prêts que fait telle banque. Si, par exemple, tu t’appelles Alcan, pour prendre un exemple plus local, quand tu veux aller emprunter à New York ou à la Banque Royale, ta bauxite, tu ne vas pas la prendre en Jamaïque, tu vas le prendre au Brésil. Si tu la prends en Jamaïque, pas de problème, va voir une autre banque. Alors ils ne possèdent pas officiellement la bauxite du Brésil, sauf que leurs intérêts financiers sont là. Alors ils contrôlent en bonne partie les fournisseurs aussi, mais d’une autre manière. C’est la même chose pour un particulier. Cela n’est jamais vraiment dit. Si tu veux emprunter pour une auto, qui possède l’auto tant que tu ne l’as pas payée cash? C’est la banque. Elle possède l’objet dans la mesure où elle finance le fournisseur…

Alors moi, je n’ai pas très bien vu dans ça en quoi est-ce qu’on pouvait vraiment parler d’une différence aussi nette. Toutes les grandes banques, que ce soit les banques d’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, d’Égypte, etc, leurs affaires, ils les font au World Trade Center, selon les règles de la bourse de New York, et de Dubaï, et de Tokyo, et de Londres, et de Shanghai… Alors moi je doute qu’il y ait un système aussi séparé dans le fonctionnement de la valeur parce quand ils buildent leur prix de pétrole, c’est sur le marché mondial qu’ils le buildent, ce n’est pas à l’intérieur… Les prix du pétrole et les pipelines sont mondialement répartis….Le capital de risque, par exemple, qui finance les grands projets de pétrole, etc, doit être emprunté sur le marché des grandes banques, mais c’est en fonction aussi de la Banque mondiale et en fonction d’autres organismes qui ne sont pas indépendants… C’est pour ça que j’ai l’impression qu’il y a une différence sur les marchés locaux. Ce n’est un secret pour personne qu’il y a des petites guéguerres de clans en Afghanistan, mais on sait que l’enjeu, ce sont les pipelines et le pavot, or cela n’est pas contrôlé localement par la banque locale.

KJ : J’ai essayé de comprendre à travers ça ce que l’islam d’aujourd’hui essayait de mettre en branle, quelles règles il essaie d’appliquer ou quelle interprétation de la règle il essaie de mettre en système. Il faut analyser son explication pour aller chercher la différence et, à mon avis, la différence réside dans le fait que l’argent est une unité de mesure en islam… Enfin, ils veulent que l’argent ne soit qu’une unité de mesure et que l’argent ne soit pas un accumulateur de valeur. Essayons d’imaginer l’argent comme on imagine la longueur. Je peux mesurer la longueur de cet objet ou de celui-là, mais je ne peux pas avoir dans la main de la longueur toute seule. Je ne peux pas, d’une certaine façon, fétichiser la longueur et en avoir dans ma poche. La longueur est nécessairement une longueur de quelque chose. L’argent, en Occident, serait comme un verbe intransitif… En islam par contre, l’argent est un moyen et il ne peut pas devenir une fin en soi puisqu’il est forcément attaché à un objet. (…)

L’islam tolère très bien le commerçant. Le commerçant qui négocie sa marchandise. Je suis un dépanneur, on vient me voir pour acheter une bouteille de coke, et au lieu de dire : « voilà une bouteille de coke », je négocie, je dis : « non, je n’ai pas de coke aujourd’hui, reviens demain » Alors le gars revient demain et demande du coke. « Ah ben, je ne sais pas, on m’en a apporté, mais il n’y en a pas beaucoup… » Tu vois, j’ai une bouteille de coke que je fais mousser. Donc là j’augmente la valeur de mon produit. C’est comme si la longueur de mon objet grandissait.  Or c’est tout à fait acceptable dans l’esprit de ce qu’ils essaient de faire. Même chose pour le pétrole. C’est acceptable dans la règle. (…)

L’attachement du propriétaire à son objet, il n’est pas question de le rompre. Il est tout au plus question de les distancer. C’est-à-dire que (…) si j’ai acheté un objet à telle personne ou à tel magasin, même dans la période postérieure à l’achat, cet objet demeurera un objet acheté là-bas ou ayant appartenu à un tel; il garde la marque du titulaire précédent…



Investissement économique et investissement affectif

CR : C’est l’esprit du don qui demeure dans l’objet échangé, c’est la trace de l’origine de l’échange commercial dans une relation complète d’échange face-à-face qui est négocié dans un mélange d’envie et de séduction, sur (la crête entre les agression et séduction)… Donc ce qui charge l’objet, quel qu’il soit, provient d’un rapport. L’objet conserve la charge de ce rapport. Et ce que tu dis vaut même dans une situation commerciale, où on n’est plus vraiment dans un cadre tribal, spécialement; même dans l’économie supposément monétaire, il y a encore cette énergie psychologique, j’allais dire spirituelle, d’objet échangé qui conserve la trace de là par où il est passé, comme dans le kula ring mélanésien…

Alors qu’une négociation aurait permis de faire son deuil de l’objet et tu aurais senti que l’autre a fini par accepter, dans une négociation concrète où les sentiments sont impliqués, qu’il y ait une sorte de transition psychologique de sa sphère à la tienne, qui s’est opérée dans une continuité, dans une interpénétration des autres plutôt que de passer brutalement d’une sphère étanche de l’autre à la sphère étanche d’un acheteur, qui néglige l’attachement et tranche dans le vif.

Michel : C’est toute la différence avec l’économie informelle qui est extrêmement importante dans ces pays-là, comme en Afrique ou en Amérique latine (…).Quand tu vas à New York, sur Canal Street, ils te vendent tous les produits et les marques mais qui sont de fausses marques et le type qui est Chinois te dit : « je m’appelle Abraham Lincoln ». Il est en train d’installer là quand même quelque chose de cet ordre là, par procuration mais il est en train d’emprunter un nom qui va créer de la dette justement parce que t’achètes pas à Abraham Lincoln comme t’achètes à John Smith. (…) Tout le monde sait que c’est une fausse marque, mais pourtant c’est commercialisé…(…) Alors c’est fascinant de voir qu’il y a  une aussi grande économie informelle qui fonctionne sur ce principe-là du don, de la dette, de la culpabilité officialisées… (…)

Remarquez que, dans des pays comme le Brésil ou le Chili (ça doit être sensiblement la même chose en Afrique), ceux qui négocient comme ça ne sont précisément pas les 5% qui possède 85% de la richesse, comme par hasard.

CR : Pas besoin d’aller si loin : au Canada français au début du siècle dernier, on ne voulait pas avoir le système capitaliste bancaire impersonnel. On a voulu quelque chose de plus proche des valeurs catholiques qu’on avait à l’époque, aussi a-t-on a fondé le système coopératif, (même s’il) a évolué dans un sens bancaire, bien qu’il y ait des traces de l’origine… De même aujourd’hui les Musulmans, ce sont des gens qui ne sont pas dans le circuit économique financier international, qui ont des valeurs sociales et religieuses et spirituelles autres, et qui veulent jouer sur les deux tableaux…

Michel : Pour moi, dans ce vidéo, ce qui est expliqué, c’est précisément ça, c’est-à-dire une velléité par une certaine classe idéologique de cet univers-là de rétablir un mode de commerce et de business qui rattache plus la valeur à l’objet. Mais sur le marché où se fait vraiment l’argent, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. (…)(Il s’agit pour) un certain monde islamiste à (de) réinstaurer, à tort ou à raison, un rapport qui est disparu dans l’économie internationale et qui n’est pas fonctionnel.

CR : La finance internationale est fonctionnellement calviniste, au fond : le prolongement des institutions bancaires écossaises et hollandaises, et tout le monde devient fonctionnellement écossais et hollandais en entrant sur ce marché-là.

KJ : En tous cas, moi ce qui m’apparaît intéressant à relever, c’est comment, dans un système plus traditionnel, c’est-à-dire plus communautaire, l’économique et l’affectif sont étroitement mêlés. Il y a ainsi un économiste célèbre dont je ne me rappelle plus le nom qui avait essayé d’évaluer toutes les propriétés qui, dans le Tiers-Monde, n’avaient pas de valeur marchande. Il a essayé d’évaluer tous ces objets qui étaient encore restés dans l’intimité du communautaire et qui ne s’étaient pas dégagés de cette intimité pour entrer dans le monde économique. Et puis, évidemment ça montait à une somme invraisemblable de milliards de dollars. Donc, il y a comme un concept, qui semble être le concept d’économie, qui se dégage progressivement d’un univers communautaire où les choses sont interreliées. Il y a comme une possibilité de rupture et d’autonomisation d’un ensemble qui s’appellerait l’économie alors que cet ensemble-là, à l’origine, serait étroitement mêlé, comme la sexualité, du reste, au système communautaire. Parce que la sexualité, elle aussi, est gérée de la même façon par le système communautaire et elle en est étroitement dépendante.

CR : L’échange est d’abord un phénomène humain avant d’être une opération mathématique. Et ce qu’il faut expliquer, c’est la rupture entre l’un et l’autre. C’est ce qui paraît aujourd’hui comme la règle qu’il s’agit d’expliquer, parce que du point de vue humain, c’est quelque chose de tout à fait aberrant.

(…)

KJ : On en était arrivé à un moment donné du séminaire l’année dernière, à cette formule au fond : le propriétaire est là, on a l’objet. La question était de savoir comment séparer le propriétaire de son objet. L’embryon de réponse qu’on avait trouvé, c’est soit la menace, soit la séduction. L’histoire de la proie pour l’ombre. On pourrait dire que ces univers dont tu viens de parler où l’affectif n’est pas du tout en jeu sont des univers où la problématique de la séparation ne se pose plus, où la rupture entre le propriétaire et son objet est totale. Pour peu qu’il ait l’équivalent en argent de son objet, il s’en fout. Il n’a pas d’état d’âme, il pourrait vendre des chaussettes ou des voitures, ou des armes, peu lui chaut, comme on dit. Ce qui compte, c’est qu’il ait l’équivalent en argent.  Alors voilà, notre grand problème, cette année, ça sera de repérer la bifurcation qui fait qu’on (…) passe dans une économie de ce type. (…) On a essayé de parler d’autre chose, mais c’est toujours là qu’on en est revenu.

(…)



Marché de l’art et thérapie: s’investir en pure perte

CR : Désormais l’objet complètement manufacturé de façon tout à fait impersonnelle est ce qui est ordinaire, mais le produit naturel, c’est quelque chose qui est mis à part de l’économie de marché, et qui a donc une valeur supplémentaire sur le marché.

Michel : On est vraiment dans la théorie de la part maudite de Georges Bataille avec toutes ces questions là justement de plus-value, plus-de-jouir; d’ailleurs c’est à lui que Lacan reprend la notion de plus-de-jouir, de dépense, l’impossible, ça vient directement de Bataille. Mais vous avez raison: les manuscrits de Léonard de Vinci sont dans les mains de Bill Gates. Et quand vous allez dans les grands musées, (…) au MoMA, (…) la liste des fondateurs est vraiment intéressante à regarder, parce que vous avez évidemment Rockefeller, évidemment Guggenheim et compagnie,  vous avez Edith Serey, Newcore, Alcoa, autrement dit, toutes des méga-entreprises dans des secteurs extrêmement importants qui en fait osent la transmission aussi. Puisqu’il s’agit d’investir, ce sont les seuls qui peuvent se permettre de réunir les sommes suffisantes pour qu’il y a ait des Picasso. Le paradoxe qui est extrêmement intéressant, c’est que personne ne peut posséder des tableaux comme ça si ce n’est des institutions qui sont financées précisément par ceux qui ont établis cette rupture-là.

Je vais vous donner un exemple spécifiquement psychanalytique. Il y a un film d’un cinéaste américain, c’est un petit court-métrage d’à peu près dix minutes, qui montre ça, cette séparation là, mais précisément dans le cas de la psychanalyse. C’est un grand cabinet d’analyste à New York, comme on en trouve à Paris ou ailleurs.(…) Il y a un type qui vient le voir, c’est ça le film, c’est la première séance d’analyse entre les deux (…). « Bon eh bien écoutez, étendez-vous, »(lui dit l’analyste.) « Vraiment, là? » « Oui, j’ai assez de succès avec ça, ce meuble-là. C’est intéressant, ça fonctionne bien. ». Mais la première chose, c’est bien : « J’ai du succès avec ça, ce meuble-là ». C’est quand même étrange! (…) Et le type s’installe, commence à raconter un certain nombre de choses, qui sont tout à fait intéressantes, d’ailleurs. L’analyste est à coté de la fenêtre, (…) il est avec ses jumelles, et il regarde ce qui se passe de l’autre coté, dans l’autre édifice.

(…)C’est ça qui l’intéresse, lui. Je ne vais pas vous raconter le film, mais l’idée c’est qu’on voit très bien là-dedans à quel point, par exemple, la notion de transfert (…) est à sens unique. L’analyste n’en a rien à cirer de ce que le type lui raconte. Mais ça marche.  (…) On voit dans le film qu’il reçoit probablement un très bon chèque. Mais on est dans une logique où le rapport affectif a disparu complètement. Et puis il y a un moment donné ou le type veut se lever parce que c’est une position un peu étrange pour lui de parler en voulant bloquer la motilité, il veut se lever. « Noooooon, non restez là, restez là » Parce que lui est en train de vaquer à ses occupations. « Moi je suis occupé ici! Non, vous restez là! » Le type est un peu intimidé, il reste couché, il comprend qu’il a vraiment avantage à ne pas se lever, mais lui, l’analyste, est en train de faire de la business et il est occupé ailleurs. Alors cause toujours…

On peut imaginer ça à New York, mais je ne suis pas sur qu’on puisse imaginer ça dans un souk. Il y a quelque chose là d’un rapport, même dans une relation aussi particulière que la psychanalyse, qui s’introduit là aussi. Cette coupure n’est pas seulement dans le social et dans la circulation du capital. On peut imaginer aussi que le type vient faire une dépense pure, quelque part. En tout cas, on pourrait le théoriser. Il a payé pour avoir l’occasion de déballer ses trucs et il l’a fait.

(…)



De l’épicier au supermarché : proximité, distance et liberté

MB : Je peux donner un exemple personnel. Je connais une boutique près de chez moi; des Marocains en sont propriétaires et ils sont adorables. C’est l’endroit où on a envie d’acheter, où je pense à aller si j’ai un cadeau à acheter parce qu’ils ne mettent pas de pression et j’y vais souvent et je succombe souvent. Je trouve ça intéressant parce que c’est une espèce de rencontre entre l’Orient et l’Occident. Les prix sont affichés et il n’y est pas question de négocier. …Des fois, ils vont me dire :  « Je vais t’enlever $5 parce que tu es une bonne amie », mais, je vais leur rapporter… Ils m’ont donné un disque spontanément parce que je suis rentrée dans le magasin et que la musique était superbe; ils ont dit : « On te le donne ». Ils ont eu une petite fille, j’ai été lui apporter des chaussures, etc. C’est un rapport humain qui s’est établi entre nous, c’est un rapport de séduction parce qu’ils ont des belles choses et qu’ils sont gentils, mais en même temps les prix sont fixes, ce qui est important pour moi, comme Occidentale : je fais une transaction, je sors avec mon petit paquet, point à la ligne. Je n’ai pas de remords et j’ai le goût d’y retourner, mais je ne me sens pas redevable. (…) Ils m’ont donné le goût d’aller chez eux plutôt qu’ailleurs parce que la relation est personnalisée. Ça, j’en suis, j’achète, j’aime ça. Mais quand je me sens coupable et que je ne sais pas, je n’ai pas envie.

KJ : D’un autre côté, même s’il y a effectivement cette coupure, à quelque niveau que ce soit, elle ne peut jamais être consommée complètement, y compris dans un système occidental, formel, etc. On peut prendre deux exemples très simples de ça, près de chez nous. Des grosses entreprises comme Bombardier ou Jean Coutu; le fait que ça soit le père ou le fils qui soit aux commandes du conseil d’administration change complètement la culture des contrats. Ah là c’est le père, ça n’est pas pareil, etc., etc. C’est-à-dire qu’il y a quand même quelque chose qui, même quand les entreprises sont rendues sur la bourse n’est pas complètement coupé par rapport à l’affectif ou en tous cas, montre qu’il y a quelque chose qui se transmet de l’affiliation et que même à la bourse, malgré tout, qui semble complètement coupée du rapport affectif, il y a quelque chose de cet ordre-là qui joue quand même. Eh bien il le joue comme ça, exprès pour le marché, c’est un code de marché, dans la publicité c’est comme ça : « Chez Jean Coutu, on trouve de tout, même un ami. » Il y a comme une notion de rapport de protection…

(…)

KJ : C’est-à-dire que, dans le temps, en Occident, on allait à l’épicerie et on bavardait avec l’épicier, on lui demandait : est-ce que tu as ceci et cela, et il n’avait ou il n’avait pas, on lui payait et au revoir, en s’en va. Aujourd’hui, on est seul, et on va devant des comptoirs avec des marchandises. Quelle est la différence entre l’un et l’autre? Entre l’épicier et le supermarché?

Michel : Je pense que ça tient à la question de la réification, de l’abstraction, etc. Mais ça tient aussi, (…) en termes de logique, au fait qu’avec ces grandes surfaces, cet échange beaucoup plus abstrait suppose en même temps, la disparition progressive de la monnaie. Objectivement, comme unité. C’est un processus qui va durer un certain temps, mais on voit bien que la monnaie disparaît en ce moment. Ça veut dire que tu peux travailler, être payé, consommer, et tu peux ne jamais toucher à un billet ou à une pièce de monnaie. Ça c’est un changement dans le statut de la représentation, (…) à partir du moment ou je vais chez Maxi, ou à la Bibliothèque nationale, et que, plutôt que de parler à un humain, je peux passer moi-même mes trucs à la caisse, ce qui permet à l’entreprise de faire travailler le consommateur plutôt que de payer des employés, c’est ça l’idée (…). Pendant tout ce temps, je n’ai jamais touché à du papier de banque. Dès lors, un type de rapport humain s’installe qui n’est pas le même que celui du troc, par exemple, ou que les billets de change. Là il y a une massification du billet, qui est l’époque des mots et des choses, grosso modo jusqu’à la crise du pétrole, quand  le statut de représentation de l’argent, des échanges humains, change considérablement. Si je n’ai pas ça, je n’ai pas besoin d’humains, j’ai besoin d’une machine. Point.

(…)

CR : C’est une étape ultime… Moi ce qui m’intéresse, c’est cette étape intermédiaire sur laquelle tu as mis le doigt, celle de l’épicier; il s’agit bien d’une transaction de marché où les prix sont fixés, mais c’est encore humain et ça rejoint ton Marocain. Parce qu’il te laisse libre en sortant, que tu n’as pas cette relation de dette, tu as envie de revenir; parce qu’il n’y a pas de dette, tu as envie de revenir. Il y a eu une relation, mais c’est pas une relation de dette et c’est ça qui crée la dette, parce qu’il peut y avoir toutes sortes de don et contre-don, chacun étant libre, et c’est là une clé de l’économie du don. C’est toute l’ambiguïté du don que Mauss par exemple fait ressortir. Le don crée de la dette mais il faut qu’il demeure libre pour qu’on ait envie de poursuivre le don librement… Pour qu’il y ait du rapport authentique, il faut le laisser libre, en quelque sorte. Il faut avoir l’impression d’être libre, il faut avoir l’impression de ne pas être pas obligé pour se sentir obligé.

KJ : Bon alors si tu vas dans ce sens-là, on pourrait dire que la différence entre le système de la dette et l’autre, c’est que dans le système de la dette il y a cette liberté de réponse et dans l’autre cas, il n’y a pas la liberté de réponse puisque quand je donne quelque chose, je dois immédiatement avoir quelque chose en contrepartie. Donc c’est l’absence de cette liberté de retour qui ferait la différence. Mais je veux revenir à la question de l’épicier pour dire que je comparais le système de l’épicier à l’Oedipe de Freud. Je veux dire par là que quand je veux acheter une bouteille d’huile, cette bouteille d’huile appartient à l’épicier. Puis, si je la veux, il faut que l’épicier soit d’accord pour me la donner, pour me la tendre. J’ai besoin de l’autorisation de l’épicier pour l’avoir. Donc il y a une mainmise de l’épicier sur l’objet que je ne peux avoir que de façon conditionnelle. En revanche, quand on est au supermarché, il y a une accessibilité directe à l’objet qui écarte le propriétaire supposé de l’objet de la manutention de la chose. C’est-à-dire je peux tripoter ma mère tant que je veux, il n’y a pas de problème, Papa sera d’accord.

CR : Voilà, c’est ça le consommateur face à l’objet de son désir. Il n’y a plus d’extériorité, c’est vraiment le rapport fusionnel du nourrisson avec la mère, il n’y a absolument aucune distance, dès qu’il y a un désir, on saisit, puis voilà.

KJ : On est sous l’arbre fruitier et on n’a qu’à tendre la main pour cueillir, comme les gorilles sur les branches.

CR : Exactement. C’est pour ça que, quand je disais tout à l’heure que ce système de consommation est comme une présence maternelle océanique, j’avais en tête une publicité de carte de crédit qui a été faite, montrant le supermarché de l’avenir où tu as un type qui fait des achats et qui sort du supermarché sans payer et là quelqu’un lui court après, mais ce n’est pas parce qu’il n’a pas payé, c’est pour une autre raison. Et là on nous explique qu’il est passé par un portail qui a automatiquement déduit ses achats sur sa carte de crédit, rien qu’en passant, rien que par les puces qui sont sur les emballages… C’est vers ça qu’on s’en va. On n’aura même plus besoin de s’arrêter à un comptoir ou de taper les choses sur une machine, on va aller à l’endroit nourricier, le supermarché, on va y aller et on va en sortir et tout va se faire automatiquement, dans nos poches, sans qu’on ait à sortir un instant de soi, même pour une machine.

KJ : Maintenant, transposons cela sur l’exemple qu’a apporté Michel du film et voyons comment cet échange de marchandise est applicable dans l’échange de la parole. Est-il transférable au niveau de la parole? C’est-à-dire que moi, quand je vais parler à un psychothérapeute, je dois négocier avec celui-ci de ce qu’il est capable d’entendre et de ce qu’il n’est pas capable d’entendre. Et, bon, il y a des fois (où) je sens qu’il y a certains sujets chauds, il est rétif, il n’est pas sûr qu’il veut entendre ça. En revanche, le psychanalyste qui est à l’autre bout de la pièce derrière le divan, lui, il s’en fout! Tu peux dire ce que tu veux, tu as l’entière liberté… Le patient sur le divan est bien sous l’arbre fruitier; il a accès à tous les mots qu’il veut dire sans limitation. Il y a des choses intéressantes à tirer à condition qu’on ne dépasse pas certaines limites. Quand on va au supermarché et qu’on embarque tout sur le caddy, et qu’on sort en ayant payé, il faut avoir payé. Il y a quand même une limite à ma liberté d’accès à l’objet. Et, en payant, je m’assure qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui s’appelle Jean Coutu ou son fils, qui est intéressé à avoir mon argent. Ce qui n’est pas rien.

CR : Tout ce qui nous entoure, c’est de la publicité pour nous séduire afin qu’on place notre argent, qu’on dépense notre argent dans des endroits particuliers, si impersonnels soient-ils.

KJ : Au fond, c’est la question de l’Oedipe, (…) qui nous ramène à Totem et tabou et à Malaise dans la culture; c’est aussi, à travers ça, différenciant les deux systèmes, une gestion de la culpabilité et donc, de la jouissance. (…) Parce que la culpabilité, si il y en a, elle n’est pas placée au même endroit, selon les mêmes paramètres.

Michel : C’est-à-dire je suis supposé jouir infiniment plus quand je suis sur un divan et que je peux parler en toute liberté, même sachant que l’autre qui est supposé m’écouter n’est pas forcément très intéressé, pas plus qu’il ne m’écoute avec beaucoup d’attention. Il y a un niveau de jouissance dans la profération du discours qui peut être différent.

KJ : La distance est ici symbole de liberté. C’est ça qui est particulier. C’est que la distance de moi consommateur par rapport à Jean Coutu qui est le propriétaire est très grande et me permet d’avoir un très vaste choix. Si ce Jean Coutu était mon interlocuteur direct, le choix serait plus restreint, tu comprends? Donc la distance est symbole de liberté, bon…(…) De même, l’auteur du film voulait mettre en valeur cette corrélation entre distance et liberté; il ne s’agissait pas de distance-indifférence. (…) Non, c’est la liberté absolue, mais pas forcément dans l’indifférence absolue. Ce qui est dit, c’est « quoi que tu prennes, tu as la liberté de le prendre » C’est ça le message. Ça ne veut pas dire que je suis indifférent, ça veut dire que je suis distinct de mon objet. Moi, Jean Coutu, tous les objets qui sont dans mon entreprise, je suis distinct d’eux et tu peux les prendre tant que tu veux, je n’aurai pas d’état d’âme du fait que tu me les as pris. C’est ça le message, au fond. Ce n’est pas comme l’épicier. L’épicier, lui, de temps en temps, son huile d’olive qu’il a achetée chez tel fournisseur, oui, il voudrait peut-être la garder et la vendre plus cher demain… Mettons qu’il y a une simulation, je dirais, dans le supermarché, d’une distanciation énorme entre le propriétaire et son produit, une distanciation tellement énorme qu’elle frise la rupture. (…)

CR : C’est pourquoi toute la publicité essaie de projeter l’image opposée du point de vue du personnel, avec tous les employés pour d’abord choisir les biens à proposer et ensuite en offrir le choix… C’est la publicité de Tim Horton’s qui sait le nom de tous ses clients le matin… Ce n’est pas pour ça qu’on va chez Tim Horton : (…) (on) n’(a) pas besoin de connaître les employés. Tous les Tim Horton’s sont pareils, au fond. (…) On se fait accroire qu’on est humain, mais dans le fond, on s’en fout. On veut notre café, tout de suite, et puis c’est tout. (…) De même, Wal-Mart apparaît dans toutes les municipalités de l’Amérique du Nord et aussitôt, tous les petits commerces disparaissent parce que tout le monde veut faire (toutes ses emplettes sous un même toit), peut acheter n’importe quoi à la même adresse, dans des conditions familières, au meilleur prix; on n’a pas besoin de quoi que ce soit d’autre…C’est ça le paradigme qui s’impose.



Repas totémique et tabou pharmaceutique

KJ : Je vous propose une énigme à propos de Totem et tabou. Bon, on ne va pas la résoudre aujourd’hui, je vous la propose pour la semaine prochaine. Freud nous dit, dans Totem et tabou, que le repas totémique est un facteur d’unification de la tribu et il nous dit que, dans ce repas totémique, il y a une part qui est réservée aux dieux qui est précisément représentée par l’animal en question. Bon, alors l’énigme est de dire :  « Comment ça se fait que le repas totémique fait l’unité de la tribu? Quel est le principe qui rend si efficace le repas totémique au point d’être pratiqué presque partout et toujours, dans à peu près les mêmes conditions, à peu de choses près ? » Voilà l’énigme que je vous propose. 

(…)

CR : Moïse a quand même initié une réaction contre le totémisme. Le monothéisme vient casser cette économie-là pour essayer d’instaurer autre chose sous l’égide de la Loi. Et ce sont justement les transformations de cette autre chose qui de loin en loin nous mènent à l’économie de marché.

KJ : Essayons de comprendre, sur le modèle de ce qu’on a déjà exploré jusqu’à présent avec le maître et l’esclave, avec Marx, ce qui rend efficace le repas totémique à partir de tout ce qu’on a travaillé jusqu’à aujourd’hui, au fond. Je ne prétend pas qu’il y a une solution, mais il y a quand même un certain nombre d’avenues de solutions qu’on pourra élaborer la prochaine fois.

Michel : On voit un lien alimentaire avec ce qu’on vient de discuter (…) dans le seul objet, au sens général, qui soit encore sous clé, sous réserve, soit les médicaments, qui touchent le corps d’une autre façon que l’alimentation. Ce n’est pas rien. Les produits d’ordonnances sont les seuls produits qui passent par un rapport qui est très différent et comme c’est le corps qui est en jeu… Il y a quelque chose là qui touche quand même à la communauté, à ce qui fait corps, dans le médicament, la pharmacie, pharmakon, ce qui empoisonne et qui soigne. Il y a là un cas de figure qui est extrêmement marquant et particulier, car il met en valeur l’autorité du médecin qui donne ou refuse avec une signature à la main…On peut acheter des maisons avec une signature électronique mais on ne peut pas avoir une ordonnance avec une signature électronique, alors que technologiquement, (ça ne poserait pas de) problème.

KJ : (…) Le repas totémique (…) assure une distribution de quelque chose. Il y a comme un balancement entre les deux phénomènes. Le repas totémique est le fait de celui qui distribue, garantit ou autorise la distribution.

Michel : Ce que je voulais dire, c’était à propos de la question de l’objet : le fait que ce soit un type d’objet très particulier qui concerne justement, un rapport au corps très particulier (…) semblable à celui qui existe dans le repas totémique. Ce qui me semble différent, c’est que ce qui concerne le moment où le corps est dans une fragilité, une difficulté, c’est géré par une instance qui est du même ordre que celle qui est présentée dans Totem et tabou. Et là je pense qu’il y a quelque chose de particulier.

CR : Cet énorme machin passe par un petit guichet où une personne en blouse blanche doit recevoir une ordonnance écrite à la main dans un démotique cursif qu’elle est seul à (pouvoir) déchiffrer… C’est complètement sacré, comme une prêtrise d’initiés…

Michel : En effet, l’écriture du médecin est quelque chose de l’ordre du mythique, parce que seul le pharmacien décode l’écriture du médecin. Personne ne peut lire ça. C’est comme les scribes qui étaient les seuls à pouvoir lire les hiéroglyphes.

(…)