Le piège de l’universalité.

Tour de Bab El
L’Occident, dès l’aube de sa modernisation, a prétendu à l’universalité. Cette prétention n’avait rien de crédible puisqu’elle ne l’a pas empêché de commettre les pires exactions dans ses colonies. En pleine Révolution Française, alors que la nation s’émancipait du joug féodal, on a maintenu l’esclavage dans les Antilles sans y voir la moindre contradiction. De la même façon qu’on ne peut déceler la moindre parcelle de démocratie dans la façon dont les Américains aujourd’hui «répandent» la démocratie. La prétention à l’universalité est, au mieux, un fantasme autoérotique à usage interne.

Pourtant nous avons cru que l’Occident pouvait nous intégrer à sa modernité et, ainsi, bénéficier, sans effort des avantages de celle-ci. Pourquoi dès lors soutenir le flambeau de notre culture du moment qu’une autre est prête à nous prendre en marche et nous offrir gratuitement des lendemains qui chantent? Nous avons commencé par renoncer, dès le XIXième siècle, à la dimension philosophique de notre culture. Nous sommes devenus des «ingénieurs» strictement cantonnés à un univers chiffré et sans épaisseur. D’avoir perdu la philosophie et incapables de repenser la science, nous nous sommes contentés de l’appliquer.

Puis nous sommes devenus des laïcs nationalistes, croyant enfin atteindre le cœur de la modernité. Nasser et Saddam Hussein ont été, parmi nos intellectuels, ceux qui ont le plus misé sur cette dimension espérant en cueillir rapidement les dividendes. Nasser a férocement réprimé les Frères Musulmans, Saddam Hussein a voulu abattre l’Islam en Iran. Mais toute la laïcité du monde ne suffisait pas à recouvrir le fait qu’ils étaient tout de même des Musulmans aux yeux de l’Occident.

Le dépit fut énorme. Avoir renoncé à soi pour si peu!! De rage, le premier nationalise le Canal de Suez et le second occupe le Koweit. Ce qui ne fit qu’ajouter à la rage l’isolement. Quelques décennies plus tard, nous avons renoncé à Dieu lui-même. Nos religions, de douceur et d’amour lorsqu’elles étaient associées à un dieu bienveillant, sont devenues des religions cruelles et intransigeantes où le respect scrupuleux de la règle devenue folle remplace la foi. Toute incartade à la loi risque d’éventer le plus terrible des secrets : à savoir que Dieu n’est plus là pour se faire respecter.

L’intellectuel qui a le mieux incarné cet effroi face à la mort de Dieu est sans doute Ben Laden. Lui, le fils favori de l’Islam, se devait, en bon obsessionnel, de défendre la cause que Dieu lui-même avait laissé tomber. Il lui fallait nier la mort de Dieu en s’attaquant à ceux qui en font état. Il est monté à l’assaut de l’Union Soviétique, son miroir inversé, qui non contente d’être athée s’en vantait ouvertement. Il ne fut pas plus récompensé par les Américains pour ses bons et loyaux services. Son dépit en fut très explosif.

En somme d’avoir cru, en l’universalité de l’Occident nous avons successivement renié toute dimension philosophique, la dimension religieuse de nos institutions et enfin de la présence de Dieu elle-même. Qui sait où nous mènera cet acharnement à la crédulité? Certains craignent que ne se révèle notre différence. Ce qui enlèverait aux Occidentaux tout désir de récompenser notre soumission identitaire. Mais l’ont-ils jamais eu? Reconnaître en revanche, cette différence, nous rend responsables de nous-mêmes et nous permet de récupérer ces monceaux de culture que nous avons abandonnés sur le bord de la route.