L'érection, entre bâtir et baptiser

Entre Geb et Nout, la colonne qui soutient le ciel
Les origines du monothéisme
Depuis la nuit des temps, le ciel et la terre se sont séparés. Pour bien maintenir la distance qui les sépare et éviter, comme le craignait Abraracourcix, que le ciel ne nous retombe sur la tête, il a bien fallu les différencier d’une façon radicale. En Égypte, on a décidé que leur différence serait sexuelle. Quoi de plus radical que cette différence. La terre est un dieu mâle nommé Geb, alors que le ciel est représenté pas une déesse, Nout.


Tout le monde a déjà vu des images de cette déesse, dont le corps couvre la voute du ciel et sur lequel sont minutieusement dessinées les étoiles. En revanche, pour des raisons de pudeur évidentes, rares sont ceux qui ont pu voir une image aussi éloquente du dieu Geb dans toute sa splendeur.(image 1). Geb et Nout ont enfanté du dieu soleil Rê qui traverese quotidiennement le ciel dans sa barque céleste. Bref, pour les Égyptiens, la terre est mâle et le ciel est femelle.
Le ciel étoilé de Nout
Isis et Rê

Un jour que Rê, le dieu créateur, se promenait avec sa marmaille d’enfants dans la nature qu’il a créée, sa bouche, trop molle, a laissé tomber un filet de salive. Isis, déesse magicienne et guérisseuse, rôdait non loin de là. Elle se saisit de cette salive et en fait un serpent venimeux. Lors d’une promenade ultérieure du dieu Rê, il est piqué par le serpent. Écroulé, il souffre des douleurs atroces quant Isis survient lui proposer son secours. Elle serait en mesure de le soigner à la seule condition qu’il lui livre son nom secret. Rê essaie de ruser, ou peut-être ignore-t-il, lui même, son nom secret, toujours est-il qu’après plusieurs essais infructueux, il finit par révéler où découvrir son nom secret et Isis réussit, enfin, à le guérir.



Ce mythe a été traduit de l’Égyptien par Erman et Ranke en 1923[1].

[1]Dans la première édition allemande de «La civilisation égyptienne»

Sur sa barque, Rê qui fait sa journée
Adam et Ève
Ève et Adam

Acheminons nous, à présent, vers une terre voisine de l’Égypte : la Mésopotamie.  C’est, en principe, sur cette terre d’entre les deux fleuves que sont nés les mythes si particuliers de la Genèse.

Le premier mythe de la Genèse, celui d’Adam et Ève, a un caractère très étrange.  Il met en scène des choses assez inhabituelles, un peu extraordinaires, qui ne se retrouveront pas dans la suite du texte.  Il faut y voir l’influence d’une autre mythologie, probablement égyptienne, comme nous allons le voir.

C’est pas le plus grand des hasards, en écrivant le présent texte, que j’ai pu déceler le voisinage entre le mythe d’Isis et de Rê et celui d’Adam et Ève.  À première vue les deux mythes se ressemblent un peu mais les contextes sont tellement différents qu’on n’est pas très tenté de prospecter plus avant autour de cette ressemblance.

Il y a bien, dans les deux cas, une femme active qui agit, avec l’aide d’un serpent, sur un homme un peu pris de court.  Tout ceci sous la tutelle d’une divinité qui semble prisonnière des cieux.  Cette ressemblance pourrait être tout à fait fortuite et n’attire pas forcément l’attention tant est grande la différence des contextes.


Pour qu’il y ait une véritable parenté entre les deux mythes, il faudrait révéler une communauté d’esprit entre eux.  Nous serions alors plus assurés dans notre estimation que l’un découlerait de l’autre.

Nous venons de voir précédemment que le mythe d’Isis et de Rê portait sur l’extraction de la semence verbale et procréative par Isis sur la personne de Rê en lui infligeant, grâce au serpent, une souffrance telle, qu’il soit obligé d’en faire l’aveu.

 Y a-t-il quelque chose de comparable avec Adam et Ève?  Certes Ève agit de connivence avec le serpent, comme Isis.  Mais quel est son but en encourageant Adam à croquer la pomme?  Elle le rend coupable d’un savoir et il en souffre. Il sait désormais des choses et il est coupable de ce seul fait.  L’aveu de sa culpabilité va entrainer son expulsion du paradis terrestre.
Expulsés du paradis avec pas un radis
Caïn horrifié de sa culpabilité
L’autonomie de la sexualité

Jusque là tout semble concorder.  Un coup monté par une femme avec l’aide d’un serpent pour arracher un aveu à un homme.  Il y a cependant, ce petit détail qui ne concorde pas : celui de l’expulsion du paradis terrestre. Rê s’est levé après avoir fait son aveu.  Il n’est pas sorti de son jardin.  Il a continué de contempler sa création sans difficulté.  L’expulsion est donc une nouveauté, même si la ressemblance, pour le reste, est assez frappante.

Un autre aspect qui diffère dans les deux mythes est le rapport à la nature, à l’agriculture.  Dans le mythe égyptien, l’extraction de la semence, qu’elle soit agricole ou sexuelle, reste sereine.  Alors que, dans le mythe mésopotamien, cueillir une pomme est une source importante de culpabilité qui provoque l’expulsion du paradis terrestre.

On peut en conclure que le mythe d’Adam et Ève s’inspire largement de celui d’Isis et de Rê dans ses prémisses, mais qu’il ajoute une dimension inattendue en rendant coupable le rapport à l’agriculture.  Cette dimension condamnable de l’agriculture se retrouve dans la suite du mythe, lorsque Caïn est condamné à errer comme un nomade après avoir tué son frère, lui-même nomade,  alors que jusqu’ici il avait été agriculteur.

L’agriculture est, en somme, une entreprise coupable qui provoque la nomadisation.  Elle est coupable en tant que savoir.  Consommer les fruits de la nature c’est vivre dans la quiétude et le bien-être.  Consommer tous les fruits de la nature c’est avoir un savoir sur la nature. C’est en prendre la responsabilité.  Entre (tout - epsilon) et tout, il y a un énorme pas qui entifie (le rend entier) le savoir agricole.

Du même coup, la sexualité qui, jusque là, et depuis les Égyptiens, était mêlée au savoir agricole, se retrouve orpheline.  Le savoir sur la sexualité, désolidarisé du savoir agricole, se trouve, tout à coup, révélé à lui-même.  Il faut qu’il souffre, lui aussi, d’exceptions, de parties de corps qui ne doivent pas être vues.  La feuille de vigne recouvre cette partie du corps qui devra faire exception.



L’expulsion du paradis terrestre signe la scission entre le monde agricole et le monde sexuel  L’homme doit, depuis, procréer indépendamment des cycles de la nature, hors du paradis végétal.

On vient de voir comment le principe de la sexualité se dégage de la germination agricole, à un niveau individuel.  Adam quitte le paradis terrestre, Caïn quitte son métier d’agriculteur et ils vont, tous les deux, ensemencer le monde.
L'exode de la horde de Caïn
Il était un petit navire...
L’arche de Noë et la tour de Babel

Les mythes suivants traitent de l’autonomie de la sexualité sur un mode collectif.

L’Arche de Noë nous révèle qu’indépendamment de la terre, dont ils sont séparés par une importante épaisseur aquatique, les gènes humains et animaux se distinguent de la reproduction végétale.  Le règne de la chair humaine et animale apparaît distincte du monde végétal.

Dans la tour de Babel, ce n’est pas la variété morphologique qui compte.  On se cantonne dans les limites de l’humain,  Il y a aussi, dans ces cas là, une immense variation possible à travers les langues.  Après avoir distingué le règne animal du règne végétal, on distingue le règne du verbal du règne animal.  Mais le verbe et la chair restent liés.  Les constructeurs de la tour vont essaimer sur toute la terre.  Mais le verbe a besoin de la chair pour pouvoir se diffuser.


On peut aisément imaginer, à partir de la structure de tous ces mythes, qu’ils mettent en valeur la différence entre le soma et le germen.  Le soma étant Geb la terre chapeauté par le phallus du mont Ararat ou du Ziggourat de Babel.  Le germen étant la variété des gènes sexuels auxquels peuvent être associés quelquefois des différences linguistiques.

À cette opposition soma/germen on pourrait ajouter une autre en remarquant que nous avons affaire aux premières constructions de la genèse : l’arche et le ziggourat.  La sédentarité n’est plus représentée ici par l’agriculture, mais par les premiers signes d’urbanisation. Même dans cette circonstance nouvelle, les mythes de la genèse ont une préférence marquée pour le nomadisme.  Le Seigneur a une sympathie plus marquée pour la construction nomade qu’est l’arche plutôt que pour la ziggourat.  Quoi qu’il en soit, la population de chair et d’os qui peuple ces deux constructions est appelée à les quitter pour se répandre sur la terre et la peupler.

Dernière remarque, enfin, à propos de ces deux mythes.  Si la tour de Babel est marqué par un débordement de phallicité, l’Arche de Noë est plutôt marqué par un débordement de jouissance féminine.  La tour de Babel correspond assez bien à l’image du pénis de Geb cherchant à atteindre Nout, alors que le déluge peut très bien être vu comme un débordement de jouissance de Nout tombant du ciel.  On dirait qu’après que la sexualité se soit distinguée de la végétation, il lui fallait expérimenter sa nouvelle liberté dans les extrêmes de jouissance féminine et masculine.


Ziggourat
Grand Ziggourat de Nippur
De même, et vous verrez dans la suite que je ne pousse pas trop loin l’interprétation, l’Arche est un potentiel de procréation qui attend le retour de la colombe pour se déployer.  Non, ce n’est pas forcément l’ovule qui attend la goutte de sperme, c’est plutôt un potentiel de procréation qui attend un indice de la bienveillance divine.  Un autre point où les deux mythes se distinguent est que Babel est le dernier mythe où le Seigneur a une position hostile par rapport à «son peuple» trop viril.  Il est clairement dit qu’il cherche à les empêcher de construire la ville.  Par opposition, Noë est le premier mythe où le Seigneur a une attitude amicale vis à vis d’une partie de «son peuple».

Il y a là un moment de transition majeur qui semble être déterminé par l’apparition de la cité.  Jusqu’à présent c’était par rapport à l’agriculture qu’il fallait se repérer.  Il fallait encourager l’extraction et la diffusion de la semence.  Arrivés en Mésopotamie, on a inventé, grâce au mythe d’Adam et Ève, un concept nouveau qu’est le concept de sexualité.  Les hommes et les animaux sont distincts des plantes et se reproduisent différemment.  On appelle ça de la chair.  Ce qui diffère de la végétation.


Avec l’arrivée de la ville comme signifiant majeur, le Seigneur va changer de forme.  Il va rester intransigeant quant à la nécessité de rester nomade, mais va devoir, en contrepartie, entretenir des relations privilégiées avec ceux pour lesquels il a cette exigence. C’est avec Noë que ce nouveau lien contractuel commence.  Il sera suivi par de nombreux autres.

Il avait déjà, certes, garanti à Caïn qu’il le protègerait contre les dangers du nomadisme, mais avec Noë et Abraham, sa protection prend une forme nouvelle qui, non seulement garantit la survie du nomade, mais également garantit la fécondité du lien sexuel.

En réalité, nomadisme et lien sexuel sont une seule et même chose.  Le nomadisme est la preuve que la reproduction animale est différente de la reproduction végétale.  Mais depuis l’apparition des cités, il faut rivaliser avec la concurrence de celles-ci.  Plus que la protection contre les dangers, il faut assurer aux populations nomadisées une cohérence comparable à celle des villes.  Il faut, en somme, ajouter une dimension groupale, comparable à celle que favorise la cohabitation géographique.  Une sorte d’esprit de corps qui s’incarne dans la lignée ayant fait alliance avec le Seigneur.  Ou bien, pour dire les choses autrement, il y a une bienveillance de type maternel qui doit consoler ces nomades de ne pouvoir bénéficier des bienfaits de la sédentarité.  Il y a donc une deuxième dimension qui s’ajoute à la première.  Au nomadisme vient s’ajouter une dimension compensatrice des difficultés liées à l’errance.

Avant d’abandonner les Babéliens à leur triste sort, il vaudrait peut-être la peine d’élucider, au moins partiellement, cette question qui apparaît de façon si soudaine : celle de la langue.  Certes la langue peut être associée à la semence verbale que nous avons évoquée déjà plusieurs fois.  Mais on n’a pas l’impression, qu’interprété ainsi, le mythe a exprimé toute sa teneur.  Il semble y avoir plus à en tirer que ça.

Le danger contre lequel semble se battre le Seigneur, c’est que vienne se superposer une langue et une ville.  Il importe que cette coïncidence ne puisse, en aucun cas avoir lieu.  C’est pour pallier à cette dangereuse perspective que le Seigneur a démultiplié les langues.

Advenant que cette perspective se réalise,  elle ôterait toute envie à ceux qui la vivraient de quitter leur confort citadin et narcissique, pour aller nomadiser ailleurs.  En revanche une communauté de langue pourrait aisément servir de substitut au confort citadin.  Octroyer à des nomades une langue commune et ils seront moins enclins à se laisser tenter  par la cité.

La langue apparait ici comme une sorte de sexualité non sexuelle.  Une sorte d’au delà du sexuel qui ne parvient pas, toutefois, à rompre les amarres avec le sexuel.
Abraham, Sarah et Hagar
Abraham, la substitution de la cité

Concernant la cité, le cas d’Abraham est assez éclairant.  Nous avons affaire à quelqu’un qui n’a pas réussi à avoir d’enfants et qui a donc eu la plus grande difficulté à extraire sa semence.  Sans compter qu’il souffrait de cette fâcheuse tendance à demeurer dans sa ville.

C’est là que le Seigneur décide d’endosser le rôle d’Isis que nous avons vue apparaitre à plusieurs reprises déjà.  Il recommande à Abram de quitter sa ville avant toute chose.  Abraham obtempère et quitte Ur.  Mais son nomadisme ne parvient pas à stimuler suffisamment sa sexualité pour lui donner une descendance.  C’est l’impasse.

Le Seigneur est obligé d’intervenir en lui annonçant qu’il aura une descendance.  Le problème n’est pas tellement la semence d’Abraham.  La preuve a été faite qu’il était fertile puisqu’il a enfanté d’Ismaël avec Agar.  Le  problème c’est Sara.  C’est en elle que la parole du Seigneur intervient.  Sa parole rend accueillant l’utérus vieillissant de Sara.  Abaraham et Sarah ont un potentiel reproductif qui ne parvient pas à se réaliser sans la bienveillance du Seigneur.  Nous avons rencontré ce phénomène précédemment avec l’Arche de Noë.  Celle-ci avait un énorme potentiel reproductif alors que la goutte de bienveillance avait été la colombe.

La différence soma/germen va se répéter ici comme précédemment.  Le germen doit se séparer du soma de façon décisive.  Ismaël va aller se perdre dans le désert avec sa mère Hagar afin d’ensemencer une importante population : les futurs Arabes.  Quant à Isaac, c’est tout le dispositif du sacrifice bien connu qui va l’amener à se séparer de son soma.


Le dispositif est comparable à celui de l’Arche de Noë et de la tour de Babel.  Un promontoire élevé duquel on est éjecté.  Cette fois c’est le couteau sacrificateur qui entre en jeu pour forcer la distinction radicale entre Abraham et son fils moyennant quoi Isaac, le germen du futur, est séparé du soma qui l’a produit : le promontoire phallique et son père Abraham.

Nous avons ici le premier signe d’un mimétisme entre le nomade et le sédentaire.  L’agriculteur sédentaire doit se priver d’une partie de sa récolte pour la consacrer à Dieu et, surtout, pour pouvoir ressemer l’année suivante.  S’il oublie de réserver une partie de ses semences pour l’année suivante il risque d’avoir de sérieux ennuis.  Sont-ce les mêmes graines qu’il consacre à Dieu dans le sacrifice des prémisses?  Il est le seul à le savoir.  Toujours est-il que le sacrifice des prémisses est un bon moyen de se rappeler qu’il faut penser aux graines de l’avenir.  Isaac et Ismaël sont aussi les graines de l’avenir par mimétisme avec les habitudes sédentaires.  Il faut démontrer, par la voie du sacrifice, qu’on n’est pas prêt à les consommer, comme les graines que l’on a consacrées au Seigneur.


La mise à distance d’Isaac et d’Ismaël, par des moyens différents, certes, mais tout aussi radicaux, désigne la nécessité, pour le nomadisme, de séparer le soma du germen afin d’encourager la sexualité et rappelle enfin les coutumes des agriculteurs dans leurs rites annuels.  À tout ceci, le Seigneur a ajouté des garanties de protection de la progéniture et des promesses de multiplication de celle-ci à l’infini.

Malgré toutes ces promesses, Abraham a tout de même succombé à la tentation de retourner en ville.  Il a, pour ce faire, pratiquement prostitué sa femme, en prétendant qu’elle était sa sœur.  Ce qui a permis à Sarah d’épouser Pharaon.  Mais le Seigneur veillait au grain et a empoisonné la vie de Pharaon jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il couchait avec la femme d’un autre.  Ce fut l’occasion pour Abraham de retrouver sa femme et son errance.
La circoncision

C’est avec Abraham qu’a été instaurée la pratique de la circoncision.  Peut-être qu’avec les éléments que nous avons dégagés jusqu’à présent,  on serait en mesure de comprendre, sinon cette pratique, du moins pourquoi elle a été adoptée par les Hébreux avec autant de persévérance.  Freud signale dans son «Moïse…» que les Juifs ont adopté une pratique égyptienne.  En effet, la circoncision est une pratique africaine corrélative probablement de l’excision.

Son intérêt pour les Hébreux, vient probablement de cette insistance que nous avons vu se répéter depuis les premiers mythes de la genèse à vouloir différencier le soma du germen.  La circoncision aurait pour fonction de désigner le prépuce comme zone où pourrait être retenue un reste de semence et où, donc, la distinction entre soma et germen serait amoindrie.  On a vu comment cette distinction s’était traduite dans les divers mythes de la Genèse, par le déluge, la tour de Babel, la migration d’Ismaël et le sacrifice d’Isaac. 


circoncision
technique de circoncision
Circoncire et consacrer son premier né au Seigneur sont une seule et même chose : séparer radicalement le soma du germen et les empêcher de rester ensemble ne serait-ce que modérément.  C’est comme un interdit de l’inceste avec sa propre semence.  Ce qui est interdit dans cet inceste semenciel, c’est de garder pour soi sa propre semence.  Il ne s’agit pas de forcer les gens à pratiquer la sexualité, comme ça peu être le cas aujourd’hui, c’est plutôt un forçage vers la procréation qui fonctionne comme un interdit de l’inceste narcissique.  Ma semence ne m’appartient pas, ou plutôt, je suis en dette d’elle au Seigneur.

On pourrait aussi interpréter la circoncision sur le versant de l’identification imaginaire.  Certes, il est difficile de l’utiliser pour discriminer un Juif d’un non-Juif, étant donné qu’elle était largement pratiquée par les Égyptiens et, peut-être déjà, par les Arabes.  Encore qu’elle puisse servir, de façon tout à fait passagère, à cet effet.

Mon oncle, qui avait un faciès très sémitique,  a été sauvé par son  prépuce.  Il a été arrêté par la Gestapo lors d’une rafle ordinaire en 1942 à Grenoble.  Il nous a raconté moult fois, avec le même plaisir, le geste de l’officier SS, un peu dégouté, qui a voilé de la main le spectacle rebutant de son pénis, non sans avoir vérifié auparavant que le prépuce était bien là.

La valeur imaginaire de la circoncision viendrait plutôt de sa capacité de délimiter le domaine d’Abraham, entre les Juifs d’une  part, et leur prépuces, d’autre  part.  Elle permettrait de circonscrire la cité juive et tiendrait lieu de pseudo muraille à cette pseudo cité.  Circoncire pour circonscrire en somme.

Il y a quelques années j’ai écrit un texte intitulé «Abraham fiancée de Yahvé» dans lequel je soutenais qu’Abraham, en tant que récepteur d’une fécondité infinie de la part du Seigneur, devait assurément avoir un caractère féminin.  Je n’avais pas vraiment jugé du caractère viril du Seigneur, mais il coulait de source que si Abraham était féminin, le Seigneur devait nécessairement être masculin.

Tout compte fait, les choses sont loin d’être aussi simples, et j’aimerais rectifier un peu mon tir, car, sur un premier versant, le Seigneur joue un rôle d’extracteur de la semence d’Abraham.  En ce sens, le Seigneur est à la place d’une femme.  Mais, sur un autre versant, Abraham reçoit de lui une infinité d’enfants qu’il n’aurait pu avoir sans son intervention, sa semence eut-elle été extraite et placée dans l’utérus approprié.  Ce qui met Abraham en position de récepteur mais ne met pas, pour autant le Seigneur en position virile. 

Il extrait Abraham de sa ville natale et lui cherche un territoire adéquat où il pourrait prendre racine et, par ailleurs, il extrait sa semence et lui garantit la réceptivité de l’utérus de Sara.  Il y là un double mouvement; un  premier plutôt féminin d’extraction et, un autre, plus maternel, avec une composante fertilisante et inséminatrice.  Il faudrait peut-être laisser se déployer les évènements et voir comment ceux-ci vont nous orienter.
Moïse

L’attraction de la ville et, particulièrement, l’Égypte s’est exercée fortement sur la descendance d’Abraham.Tant et si bien qu’ils se sont retrouvés, pour laplupart, au pays de Pharaon.C’est en Égypte que prendra place un des évènements les plus marquants de l’ancien testament : l’histoire de Moïse.Ce récit, très fertile en rebondissements, va reprendre les deux aspects que nous avons rencontrés, pour la première fois, avec Abraham, l’extraction de la semence et le maternage, et va les amplifier énormément, nous aidant ainsi à mieux les comprendre.



1)L’extraction

On retrouve le premier aspect, celui de l’extraction de la semence, dans les multiples épisodes où Moïse tente d’arracher à Pharaon son accord par d’importantes souffrances : les célèbres plaies d’Égypte.On remarquera que le premier de ces épisodes débute lorsque Moïse déploie son bâton qui se transforme instantanément en serpent.








Moïse joue ici le rôle d’Isis auprès de Pharaon et tente de lui arracher, grâce au serpent, une semence qui n’est autre que le peuple juif. Il tente aussi de lui arracher un accord verbal, la semence verbale dont il a déjà été question, que Pharaon finit par consentir plus de dix fois, non sans se rétracter aussitôt après, à chaque fois.Le caractère magique des démarches de Moïse se signale par le fait que des sorciers essayent à leur tour de faire les mêmes tours demagie.Le lien avec Isis, la grande magicienne, n’en est que plus évident.

Si on ajoute le fait que Yahvé réclame le premier né de chaque famille et universalise la circoncision à tous les mâles, y compris les esclaves non juifs, il apparait que Yahvé est ici une femme, héritière de Nout, qui réclame, par l’intermédiaire de Moïse, qui est lui aussi une femme héritière d’Isis, la sortie du peuple juif d’Égypte.Et si Yahvé, identifié à Nout en la circonstance, réclame la sortie d’Égypte, c’est parce que lepeuple juif est la semence de l’Égypte et qu’il est interdit qu’une semence appartienne à son géniteur (c’est le cas de le dire).



Moïse menaçant Pharaon
Moïse sauvé des eaux
2) Le maternage, Bébé Moïse, sa mère et sa soeur

Nous venons de traverser le premier aspect, celui qui nous est le plus familier puisque nous l’avons longuement abordé depuis les temps pharaoniques, en passant par la Genèse, puis l’Exode.Le deuxième aspect nous est moins familier.Il est apparu surtout avec Abraham, même si nous avions senti certaines prémisses avec Noë et Babel.Le Seigneur s’était non seulement engagé à protéger l’errance de leur progéniture, mais il leur avait garanti l’infini abondance de celle-ci.Il y a là comme une sollicitude procréative qui mérite d’être élucidée.



Fait remarquable, ce deuxième aspect, plus maternel, existe aussi dans la mythologie égyptienne. Il y a beaucoup de déesses, qui allaitent pharaon pour l’encourager ou le légitimer. La déesse vache Hathor occupe une place essentielle dans le panthéon égyptien. 
Hathor
Rê Harakhté prodigant sa lumière
Rê lui-même, qu’on a déjà vu se faire culbuter par Isis, pour produire de la semence, est également conçu comme protégeant de ses rayons l’ensemble de la création.


Il n’y a pas d’exclusive; d’un coté, il produit la semence, de l’autre il protège sa croissance. D’un coté il est mâle, de l’autre il est maternel. Il y a même un hiéroglyphe très connu, celui du dieu Rê, qui peut être lu comme un sein maternel. Le petit cercle avec un point au milieu peut aussi bien être vu comme un mamelon que comme un soleil.
Cartouche de Ra-mss
C’est, d’ailleurs, grâce à ce signe que Champollion a déchiffré le principe de l’écriture hiéroglyphique.Il a compris que ce cercle pointé qui représente le nom propre Rê peut tout aussi bien écrire la syllabe «ré» de n’importe quel mot. Ébloui par sa lumineuse découverte, Champollion s’était évanoui pendant trois jours.
Canard/soleil= Sa/Râ= fils de râ
Abraham, vraisemblable inspirateur d’Akhenaton

À ce panthéon chamarré et polysémique, Akhenaton, on le sait, est venu apporter une redoutable simplification. Il a décidé que désormais, il n’y aurait qu’un seul dieu nommé Aton, qui va s’occuper de tout. Il n’y aura plus d’extraction de la semence. Ce ne sera plus nécessaire, puisqu’il va lui-même fournir les semences et assurer la protection de la croissance de celle-ci.

On remarquera ici tout de suite, que le lien entre Aton et ses créatures est singulièrement ressemblant à celui qui liait Abraham avec le Seigneur. Abraham ne peut procréer avec Saraï; c’est le Seigneur qui prend en charge l’ensemencement aussi bien, du reste, que la protection de la progéniture.

Les deux phénomènes sont sensiblement contemporains. Si l’un serait la cause de l’autre, ce ne peut être que le lien Abraham/le Seigneur, qui aurait causé la création du lien nature/Aton. La descendance d’Abraham s’est rendue en Égypte. C’est à ce moment qu’ils ont pu diffuser l’idée de cette relation particulière avec le ciel dans l’entourage direct de pharaon par l’intermédiaire de Joseph (vendu par ses frères). Que Moïse ait été un des fils de pharaon, à travers une femme juive de son harem, devient dès lors très vraisemblable. On se rappellera que Sarah, elle-même, avait fait partie du harem de Pharaon.



Lorsque cette formule a été adoptée par les égyptiens, il y a eu un principe universel, le dieu soleil Aton, qui veille maternellement sur toute la création et l’alimente pour assurer sa croissance. Il fait l’impasse sur le monde agricole dont la tâche est d’extraire la semence à travers les rites propitiatoires du clergé d’Amon pour lui préférer un hommage de fidélité indéfectible à l’omnipuissance et la générosité d’Aton. Ce qu’on a appelé à tort le premier monothéisme s’est donc imposé sur tout le territoire égyptien en refoulant la vigueur du monde agricole pour lui préférer les rigueurs du soleil.

Dès que Aménophis IV, alias Akhenaton, instaure son principe universel, une fissure majeure va traverser le pays entre les paysans et le clergé d’Amon d’une part et l’élite intellectuelle du pays d’autre part. Et comme les Hébreux, dont certains nomadisaient dans le désert oriental, entretiennent des liens de parenté intellectuelle avec l’élite atonienne, le clivage sépare donc aussi les Hébreux du monde rural égyptien.

La scission ne va pas tarder à s’effectuer entre les 2 lèvres de la fissure. Ce n’est qu’une question de temps. Les Juifs sont probablement partis avec l’élite intellectuelle du pays dans un nouveau processus de germination. Reste à savoir comment ils ont conçu ce départ.

La façon dont les Juifs vont concevoir leur Panthéon et leur avenir ne passera plus par le mythe d’Isis et de Rê, mais par celui beaucoup plus connu d’Isis et Osiris. Nous devons le récit de ce mythe à Plutarque.Il s’agit d’une opposition entre Seth qui est le dieu du désert, le dieu de la terre rouge, et Osiris, son frère, qui est le dieu de la terre fertile et irriguée, la terre noire.Après bien des péripéties, dont je vous fais grâce, Osiris est tué par Seth et son corps coupé en morceaux.Ceux ci étant distribués sur toute la terre d’Égypte.



Osiris, Isis et Nephtys
Isis préparant le terrain pour sa fécondation
Isis parcourt le pays et rassemble les morceaux.Elle reconstitue le corps avec les bandelettes de la momification et dépose le corps ainsi unifié, dans un sarcophage qui flotte dans les fourrés de papyrus du delta. Seul son pénis lui a échappé qui a été avalé par un poisson.Elle le reconstitue en terre cuite sur un tour de potier.Et parvient ainsi à se faire féconder.Elle enfantera d’Horus, le dieu faucon, etpremier roi d’Égypte.

Il y a dans ce mythe une dimension manifestement administrative. Chaque partie du corps correspondant à une entité administrative du royaume appelée «nome». Ces nomes gérés par des nomarques transcendent évidemment l’agriculture même s’ils sont supposés en gérer l’irrigation.

L’histoire de Moïse hérite de beaucoup d’éléments de ce mythe en les modelant un peu différemment. Moïse, dans son panier, flotte sur le Nil comme Osiris.Il est «naturellement» unifié, contrairement à Osiris qui était fait de morceaux rapportés.C’est dans cette histoire qu’apparait pour la première fois un bébé. Il est également mis en position d’être allaité de façon explicite. La référence à la mère nourrice est très claire à ce sujet. Dans les textes officiels pharaoniques, il est souvent question de déesses-mère qui allaitent des pharaons adultes pour affermir leur pouvoir. Il y a également des récits ou des statues qui représentent des déesses, notamment Isis, qui allaitent des pharaons bébés. Moïse est donc en position de se faire allaiter, comme l’aurait été un pharaon.

Aton, le soleil a, pour les égyptiens, une dimension maternelle qui est apparente dans les bas-relief de la période amarnienne. Vous avez certainement du voir ce soleil dont émane une quantité de rayons au bout duquel on aperçoit de petites mains. Ce soleil aux multiples mains est celui d’Akhenaton.

Freud a supposé que les Hébreux de l’exode aient pu être les adeptes de la nouvelle religion qui, lors d’une restauration de l’ancien régime, ont choisi de quitter le pays. Il y a certainement un rapport entre le monothéisme atonien et l’alliance d’Abraham, une sorte de convergence des deux formules, comme nous l’avions vu précédemment. Des membres de la secte d’Aton étaient certainement des nobles dont le statut n’avait aucun rapport avec celui des Hébreux qui nomadisaient dans l’est du delta.

Que Moïse eut été un membre de cette secte est tout à fait vraisemblable. Son nom même pourrait être un indice de cette appartenance. Le suffixe « mss » signifie « naitre de ». Il doit être précédé du nom d’un dieu duquel le porteur du nom serait né. Ramsès, Amenmesès, Thotmesès. Moïse semble être né de personne. L’anglais « Moses » a gardé, plus que le français Moïse ou l’hébreux Moïshe, la trace du « mss » original.


Akhenaton en famille recevant la sollicitude d'Aton
Les conquêtes du père d'Akhenaton
À en croire les Écritures, aussi bien que les papyrus égyptiens (qui parlent de khabirou), les Hébreux étaient également des ouvriers. Il n’est donc pas exclu qu’ils aient nomadisé tout le long de la vallée en ce faisant embaucher à l’occasion comme main-d’œuvre d’appoint lors des moissons.

Être nomade, pour eux, était, nous l’avons vu, la situation idéale qui leur permettait de conjurer le terrible danger qu’est l’attrait des villes. Cette solution, qui fonctionnait bien depuis au moins Abraham, a rencontré une nouvelle situation historique à laquelle il a fallu faire face. D’abord la conquête du territoire palestinien et syrien par Aménophis III, qui a été suivi par l’imposition du monothéisme comme religion officielle. Ces deux faits ont transformé les conditions de vie des Hébreux.
D’abord, parce que l’extension du territoire égyptien vers la Syrie et la Palestine a intégré le territoire sur lequel ils nomadisaient. Ils ne vivaient donc plus sur les limes du territoire égyptien mais bien à l’intérieur de celui-ci.

Ensuite, parce que le monothéisme modifiait la structure du territoire égyptien, qui n’était plus une concaténation de villes ayant chacune ses dieux propres. Mais un territoire uniformisé dont fait partie le désert au même titre que n’importe qu’elle autre ville et dont les limites étaient probablement mieux identifiées.

L’état monothéiste égyptien est à l’état pharaonique traditionnel ce que le corps de Moïse est au corps d’Osiris.Un corps naturellement unifié, par opposition à un corps artificiellement contenu dans un exosquelette.Il y a unpassage de (tout - e) à tout, e étant un nombre aussi petit que l’on veut.L’état monothéiste est tout autre que l’état égyptien traditionnel. Il est à la recherche d’unité, d’uniformité et de cohérence administrative. Il lui faut unifier un territoire qui contient, pour le moins, des Syriens, des Palestiniens et des Hébreux.Son souci est d’effacer les différences.

On se retrouverait ici dans une situation comparable à celle de la tour de Babel. Mais entendons-nous bien. Ce n’est pas la diversité linguistique ou religieuse qui fait problème. Loin de là. C’est le souci d’unité et d’uniformité qui transforme la diversité en morcèlement. La diversité quelle qu’elle soit est un fait naturel qui devient tout à coup scandaleux pour ceux qui recherchent l’uniformité puisque leur souci à eux est de masquer la diversité.

Comment les Hébreux vont-ils réagir à cette nouvelle situation? Ils vont réagir de la même façon qu’ils l’on toujours fait. Ils vont s’éjecter du système en s’identifiant à lui. Ce qui veut dire qu’ils vont sortir d’Égypte en essayant de construire un système comparable à celui de l’état égyptien qui les préserverait contre la tentation de s’y intégrer. Gardons en mémoire qu’il y a un lien de filiation entre les Égyptiens et les Hébreux. Si les Juifs s’en vont c’est pour éviter l’inceste père/fils qui équivaut pour eux à un père qui s’abstient d’éjecter sa semence.
Résister à l’État

Si les changements survenus avec Noë, Babel et Abraham étaient supposés donner la force aux Juifs de résister à la cité, Moïse fait un pas de plus, il doit permettre au Hébreux de résister à l’état.Si, pour résister à la ville, il suffisait de quitter la ville et de faire un pacte avec le Seigneur avec circoncision et sacrifice du premier né, pour résister à l’état, les choses semblent nettementplus complexes.

Il y a là un espace qui est cerné qui est un espace charnel et non pas un espace géographique.L’ensemble des descendants d’Abraham appartiennent à un même ensemble, et cet ensemble est protégé par la garantie du Seigneur.Cet ensemble est comme une ville avec des murailles, excepté que cette ville est mobile et que ses murailles sont invisibles.

La question qui se pose à présent est de savoir si cette ville peut avoir des lois, si elle peut solliciter la semence verbale de quelqu’un pour qu‘il institue un code de conduite pour cette population nomadiquement citadine ou citadinement nomade.


L'adoration du veau
Il s’agira, pour Moïse, d’introduire la loi dans un univers qui n’avait connu jusque là qu’un code de conduite communautaire.Certes les Juifs, depuis Abraham, ont simulé la cité et une cité refoule habituellement le système symbolique pour lui préférer la loi.Mais apparemment, ce ne fut pas le cas des Juifs.De la cité, ils n’ont simulé que la muraille à travers la circoncision et le sacrifice du premier né, mais ils n’ont pas eu à renoncer à leur système symbolique.C’est Moïse le bègue, sur le Mont Sinaï, qui réussira à introduire la loi, malgré la puissance encore vivace du système symbolique incarné par le veau d’or.

Pour simuler un état, il faut associer un territoire à la loi.Il faut, toutefois, que ce territoire ne soit pas un vrai territoire, sinon les Juifs ne constitueraient pas un état simulé mais un véritable état.C’est pour cette raison que ce territoire est une terre «promise».

Rappelons nous que la terre a d’abord été promise à Abraham au moment de l’alliance.Le Seigneur a promis cette terre d’accueil à Abraham au moment où il rendait accueillant l’utérus de Sarah.Mais cette promesse ne s’est réalisée qu’avec Moïse.

Il y a tout de même un petit problème, c’est qu’en occupant la terre promise, les Juifs risquent de cesser d’être des nomades.Il faut donc maintenir une certaine ambiguité sur le statut de cette terre.Celle-ci doit rester promise même si elle a été obtenue.Elle peut, à tout instant leur être retirée par la sévérité de Yahvé.Ne serait-ce que pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’une terre obtenue mais d’une terre qui demeure promise même après avoir été obtenue.
L’avènement du Christianisme

Mille trois cents ans plus tard, à la veille de l’avènement du Christ, une situation historique similaire se présente.Les Juifs continuent de nomadiser depar le monde.Mais, tout à coup, le monde devient trop étroit.Tout l’oecuméné, c’est à dire tout l’espace habitable de la terre, est occupé par une seule et même force : l’Empire Romain.Où qu’ils aillent, les Juifs restent dans l’espace romain.Ils sont complètement cernés.Il n’y a plus d’extériorité possible.

Il leur faut alors recommencer le processus qu’ils avaient entrepris lorsqu’ils avaient été également cernés en Égypte par l’extension importante du territoire égyptien et l’avènement du monothéisme atonien.Du temps de Moïse, il leur avait fallu s’extraire du territoire égyptien pour retrouver leur situation de nomades.C’est ce qui va leur arriver à nouveau grâce à ce nouveau Moïse que fut Jésus-Christ.

Mais cette fois la situation ne permet pas vraiment de sortir géographiquement de l’Empire Romain.Il faut trouver un subterfuge pour permettre aux Juifs de s’extraire quand même de l’empire.Le Christ dira :«Mon royaume n’est pas de ce monde».Il s’agit d’une sortie par le haut.Deux royaumes aussi universels l’un que l’autre, vont se superposer sans se mélanger. L’Empire Romain et le Royaume de Dieu, mais aussi, de façon générale, le monde de l’humain et le monde du divin.
Les conquêtes romaines
saint-Jean-Baptiste
C’est dans le baptême du Christ que les fils de la nouvelle formule vont se nouer.Nous savons que Jean-Baptiste est l’homme du désert.Il est vêtu de poils de chameau et mange des sauterelles.Par opposition, Jésus est dans l’eau et reçoit l’eau sur la tête ainsi que la colombe du Saint-Esprit.



Dans ce triangle, Jean-Baptiste/Jésus/le Saint-Esprit, on pourrait retrouver l’opposition entre Seth, le dieu du désert et Osiris, le dieu de la vallée.Cette interprétation est confirmée par la colombe où on peut reconnaître le faucon Horus.


Il y a un deuxième triangle constitué par Jean-Baptiste/Jésus/Dieu.Pour le comprendre il faut remonter plus haut dans le temps jusqu’à la conception de Jean-Baptiste et de Jésus.Tous les deux ont été conçus à l’aide de la parole de Dieu.Un ange en a fait l’annonce à Zacharie, père de Jean-Baptiste, et à Marie.Il y a cependant une différence notable, c’est que Zacharie est mis à contribution pour inséminer Élisabeth, son épouse, alors que Marie n’a pas besoin de Joseph pour concevoir Jésus.

La première méthode est dans la tradition abrahamique d’un vieux couple incapable de procréer, auquel Dieu donne un coup de pouce décisif.Alors que, concernant Jésus, c’est uniquement le Saint-Esprit qui fait son œuvre, indépendamment de tout rapport sexuel.

Un autre point qui attire l’attention, dans ce triangle, est la différence entre le temps de la semence sexuelle et le temps de la semence verbale chez Zacharie.On se rappelle, en effet, que Zacharie est demeuré muet depuis l’annonce de la future naissance de son fils jusqu’au moment où il a baptisé son fils du prénom inhabituel «Jean».L’histoire dit qu’il est demeuré muet d’avoir été incrédule, mais on peut rapporter ce mutisme au mythe d’Isis et de Rê. Dans ce mythe Rê accorde sa semence sexuelle dans unpremier temps, mais a résisté beaucoup avant d’enfin révéler se nom secret.

Ce qui est mis en évidence ici, c’est que la semence verbale peut se dispenser de tout support sexuel.C’est d’ailleurs ce que dira Jean-Baptiste aux Pharisiens avant le baptême, que Dieu est capable de faire naitre des descendants d’Abraham à partir des pierres du chemin.
Le pas le plus décisif du mythe, mais peut-être aussi, un des pas les plus décisifs de l’histoire de l’humanité, c’est celui que fait Jésus-Christ hors de l’eau, en remontant sur le rivage.Les quatre évangiles sont unanimes la dessus, c’est à ce moment, et à ce moment seulement, que Dieu intervient pour reconnaître son fils bien aimé. «Et tout de suite après l’Esprit le poussa dans le désert».Ce moment est décisif parce que, par lui, Jésus prend la place de Jean-Baptiste et devient, lui-même, un être du désert.

Lorsque le Christ monte sur le rivage, il vient remplacer Jean-Baptiste ou il devient Jean-Baptiste.Preuve en est qu’il deviendra un habitant du désert, comme Jean-Baptiste, pendant quarante jours, juste après son baptême.Il s’est probablement inséré ici un rappel de l’épisode de la prise du droit d’ainesse entre Jacob et Esaü.Jean-Baptiste apparaît comme le fils ainé de Yahvé, même si nous savons qu’il est le vrai fils de Zacharie, et le Christ son fils cadet.C’est déguisé en Jean-Baptiste qu’il se fait reconnaitre comme fils de Yahvé.
Ce qu’il importe au mythe de démontrer c’est que la procréation par la sexualité n’est plus indispensable.La semence verbale peut suffire à dieu pour créer.Pour bien montrer que cette semence n’est pas sexuelle, il faut mettre en évidence le fait qu’elle vient d’en haut et non du bas comme elle l’avait toujours fait depuis l’aube de l’Antiquité.C’est pour cette raison que le baptême va se faire sur la tête ou sur le front.Il restera tout de même une trace du temps où la semence venait d’en bas, puisque le corps phallicisé du baptisé pourrait, a posteriori, avoir lui-même produit la semence située sur sa tête.Cette équivoque vaut aussi pour la colombe du Saint-Esprit qui, comme héritière du faucon Horus, pourrait être le fruit de Jésus-Christ, aussi bien, du reste, que son fils. Le blanc de la laitance qui vient du sol et le blanc de la lactance qui vient du ciel se sont retrouvés dans la blancheur de la colombe.

La baptême qui aurait pu se contenter d’être un rite de purification, a été détourné de son usage traditionnel pour mettre en scène la rencontre du haut et du bas.

La formule va être trouvée dès l’origine, avec le baptême du Christ.Ce mythe est structuré verticalement en deux parties, la partie terrestre et la partie céleste.Il reprend, pour l’essentiel, les deux aspects que nous avions dégagés dans le récit mosaïque : l’aspect d’extraction de la semence virile et l’aspect où les bienfaits du maternel descendent du ciel.
La partie inférieure peut s’analyser à partir du mythe d’Isis et Osiris, et aussi à partir du mythe d’Isis et de Rê que nous avons tous les deux évoqué tout à l’heure. À Jean Baptiste, l’homme du désert, correspond Seth. Au Christ, les pieds dans l’eau, correspond Osiris qui, je le rappelle, flottait dans un sarcophage dans les fourrées de papyrus. À la colombe du Saint-Esprit correspond le faucon Horus, fils d’Osiris. D’ailleurs, certaines représentations du baptême du Christ associent à la colombe un oiseau de proie, celle de Verrocchio en particulier.

Le mythe d’Isis et de Rê est, lui, présent sur le plan rituel et non sur le plan mythique du fait que, dans un baptême, on doit prononcer l’autre nom du baptisé, de la même façon que Rê devait révéler son nom secret. L’eau qu’on verse sur le baptisé correspond au jet de salive que laisse échapper Rê avant qu’on s’en empare pour faire naitre à nouveau le baptisé. Le baptême, pratiqué jusqu’à nos jours, ritualise l’extraction du nom secret qui doit accompagner l’extraction de la semence. Nous avons donc bien affaire à un baptême où le nom secret du baptisé doit être prononcé.

La colombe représente en partie le faucon Horus. Mais la colombe appartient aussi au versant supérieur.Elle rappelle bien-sûr, la colombe de Noë, mais elle pourrait aussi évoquer le lait maternel de la mère de Moïse.C’est dans la colombe que fusionnent le flux qui vient du sol et le flux qui vient du ciel.La semence virile et le lait maternel fusionnent pour constituer la blanche colombe.
Mais pourquoi la colombe devient l’esprit saint? Pour répondre à la question il suffit de se reporter à l’histoire de Moïse.On se rappelle que Yahvé avait rendu accessible la terre promise, comme il avait rendu fécond l’utérus de Sarah.Il avait aussi offert les tables de la loi pour que celles-ci organisent le lien sexuel.La colombe joue un rôle comparable.Elle rend possible le Royaume de Dieu comme territoire de destination des Juifs sur le versant inférieur.Sur le versant supérieur, en tant qu’Esprit Saint, la colombe insuffle une nouvelle structuration au peuple juif.Les relations ne sont plus différentielles mais analogues, pour ne pas dire narcissiques.«Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés».«Aime ton prochain comme toi-même».

Le lien sexuel est abandonné au profit de ce lien spirituel où prédomine l’amour réciproque.Les liens avec le corps et la matière sont rompus au profit de l’esprit à l’état pur.La rupture avec le royaume terrestre va de pair, comme nous l’avons vu dans les étapes précédentes, avec une identification à celui-ci.Or comme ce royaume terrestre (l’Empire Romain) se présente comme universel, il importe que le royaume céleste le soit aussi.

La décision de Saint-Paul de renoncer à la circoncision, en dépit de son extrême importance depuis lapériode abrahamique, n’est pas le fruit d’une décision personnelle, mais le résultat d’une logique impérative de l’identification.L’universalité de l’Empire Romain rendait inévitable l’universalité du Christianisme.

Un autre point important dans le mythe du baptême, et tous les évangiles concordent à ce sujet, c’est que le Christ n’a été reconnu par sonpère qu’après avoir pris pied sur la terre ferme.Rien ne s’est passé durant son séjour dans l’eau, à part son baptême proprement dit.

Ce moment est l’occasion pour que se passe quelque chose d’extraordinaire, qui ne s’est jamais passé auparavant, c’est que Dieu (on doit l’appeler Dieu désormais), devient unpère qui, comme tous les pères juifs, doit sacrifier son fils.
Si Jésus-Christ, l’humain, doit tout faire pour que les Juifs puissent atteindre le Royaume de Dieu, Dieu, par identification aux hommes, a sacrifié son fils, Jésus-Christ le divin, pour que le ciel vienne ensemencer la terre.

Il y a là un effet de miroir tellement saisissant qu’on peut dire que le personnage, qui s’est lentement constitué dans le ciel est, pour la première fois, devenu un père, par identification, après avoir longtemps été une mère.

Le baptême du Christ est ainsi la rencontre de l’extraction de la semence terrestre en forme de colombe et l’extraction de la semence céleste en forme de parole et de langue de feu. Les deux extractions se rencontrent à mi-chemin entre le ciel et la terre comme la double nature du Christ se sont rencontrées dans une seule et même personne.


Vue d’ensemble

Le trajet que nous venons de faire est comparable à celui de la fusée.Dans un premier temps, le temps des Pharaons, la fusée a ses trois étages : la semence végétale, animale et verbale.Dès que la fusée démarre avec la Genèse, elle perd son premier étage, la semence végétale, avec le Paradis Terrestre.L’histoire des Juifs est une histoire où la semence animale et verbale se confond.


C’est seulement avec le Christianisme que le deuxième étage de la fusée, la semence animale, va se détacher pour ne laisser en orbite que la semence verbale.Celle-ci apparait nécessairement sous la forme de l’Universel.

Pour conclure, il faut aussi parler de ce qui se passe dans le ciel.Du temps des Pharaons, il y a une femme Isis et une mère Nout.Avec la Genèse, le Seigneur et Yahvé demeurent plutôt maternels, surtout s’ils sont capables de rendre un utérus fécond et une terre accueillante.Le caractère matrilinéaire du lignage, chez les Juifs, est tout à fait justifié en ce sens.Ce n’est qu’avec le Christianisme que le ciel devient ouvertement masculin.À partir du moment où celui qu’on appellera désormais Dieu le père sacrifiera son fils comme le font tous les pères juifs.

La question de la langue atteint ici son épilogue.Grâce au christianisme, grâce à ce moment de rupture entre le terrestre et le céleste, la semence verbale prend son indépendance par rapport à la sexualité.Elle peut créer sans égards pour les règles de la sexualité

Je ne voudrais pas terminer ce texte sans évoquer le logos des présocratiques qui se manifeste, dans le nouveau Testament déjà, dans les propos de Jean-Baptiste :«Je vous baptise avec l’eau, lui, il vous baptisera avec le feu».C’est la parole qui est clairement désignée ici.JB discrédite la semence animale, longtemps déjà avant Saint-Paul, au profit de la semence verbale en disant que JC est capable de faire naitre des «descendants d’Abraham à partir des pierres»; c’est à dire en faisant fi des impératifs de la procréation.



La semence verbale, c’est, ici, la Bonne-Nouvelle qu’il faut diffuser et propager indépendamment de la contrainte procréative.On ne voit nulle part mieux que dans la scène de la Pentecôte combien la Bonne Nouvelle est une véritable semence verbale, une éjaculation mentale, lorsque celle-ci apparaît en langues de feu au dessus de la tête des apôtres et de la Vierge Marie.


Peut-être qu’une bonne façon d’illustrer ce passage, serait la différence entre Freud et Lacan.L’un insistant sur le caractère sexuel de nos comportements alors que l’autre pointe sur la jouissance que nous procure la lalangue.